Par Samir MÉHALLA
Dans l’histoire violente du monde arabe, rares sont ceux qui ont osé tenir tête à Gamal Abdel Nasser sans haine ni dévotion. Houari Boumediene fut de ceux-là. Il admira le Raïs, mais refusa de s’y incliner. Entre eux, il n’y eut ni rupture ni allégeance : il y eut une vérité, nue, brutale, celle d’un homme qui croyait plus à la souveraineté des peuples qu’au prestige des chefs.
En juin 1967, quand les armées arabes s’effondrèrent face à l’envahisseur sioniste, Nasser se mura dans le silence de la défaite. Boumediene, lui, prit le combiné. «Comment ton armée a-t-elle eu une attaque cérébrale ?», lança-t-il au Raïs. «Continue la guerre, transforme la défaite en guerre populaire !»
Ces mots, terribles, n’étaient pas une insulte, mais un sursaut. L’Algérie, refusant la capitulation, envoya un corps expéditionnaire complet sur le front égyptien. Nasser voyait en cela un culot. Boumediene, une cohérence. Il croyait que la dignité arabe ne se négocie pas : elle se défend, coûte que coûte.
C’est cette logique intransigeante qui fit naître les «trois non» de Khartoum – pas de paix, pas de négociation, pas de reconnaissance d’Israël –, inspirés par Alger. Mais Boumediene ne s’arrêta pas à la rhétorique. Lors du sommet de Rabat en 1969, il osa ce qu’aucun dirigeant n’avait jamais fait : contester Nasser en public. Quand le roi Fayçal demanda un rapport sur l’argent versé à l’Égypte pour la guerre d’usure, Nasser fulmina contre la “réaction”. Boumediene se leva, prit sa chaise, et s’assit aux côtés du roi : «Si demander des comptes, c’est être réactionnaire, alors je le suis. Ce sont les fonds de nos peuples, ils méritent la vérité.»
Par ce geste, Boumediene signa l’acte fondateur de l’indépendance politique arabe. Il montra que l’amitié ne doit pas devenir tutelle, et que la solidarité n’a de valeur que dans la vérité. Nasser incarnait le rêve, Boumediene, la rigueur.
L’un voulait unir, l’autre voulait affranchir.
L’histoire retiendra qu’entre le panarabisme romantique et la souveraineté lucide, Boumediene choisit la seconde. Et ce choix, aujourd’hui encore, résonne comme une leçon : celle d’un homme qui préféra la vérité à la révérence, et l’honneur à l’héritage.
S.M.