Par S. M.
Bien avant que les États-Unis ne se rêvent gendarmes du monde, Alger leur dictait déjà la conduite. En mai 1796, dans un palais dominant la Méditerranée, le Dey Hassan Pacha adressait à George Washington une lettre scellée de la Régence d’Alger. Il y rappelait, avec fermeté et courtoisie, les engagements pris par la jeune République américaine et restés sans exécution. Ce courrier n’était pas un simple échange protocolaire : c’était un avertissement diplomatique, émanant d’une puissance musulmane sûre de sa force face à un pays encore en construction.
Deux siècles et demi plus tard, cette lettre dort dans les archives de Washington, exposée comme une curiosité d’un autre âge. Pourtant, elle dit tout d’une époque où Alger imposait sa loi sur mer, où les puissances européennes et américaines devaient négocier, payer un tribut et implorer des passeports méditerranéens pour naviguer en paix. Ce rapport de force renversé rappelle qu’avant d’être colonisée, l’Algérie fut une autorité maritime respectée, reconnue et crainte.
Mais la diplomatie américaine contemporaine préfère oublier cet héritage. Washington se souvient de la guerre de Tripoli, pas de la main tendue d’Alger. La mémoire officielle américaine s’est construite sur la conquête, pas sur la reconnaissance. Pourtant, dans un monde multipolaire où les États-Unis cherchent de nouveaux équilibres au Sud, ce parchemin de 1796 pourrait redevenir un symbole : celui d’un dialogue ancien entre deux mondes, celui d’un respect jadis imposé par la plume, non par le canon.
Pour l’Algérie, cette archive vaut plus qu’un souvenir. Elle incarne une souveraineté diplomatique antérieure à la colonisation, la preuve écrite que la Régence d’Alger traitait d’État à État avec le monde. Dans l’histoire des nations, peu de lettres ont une telle charge : celle-ci témoigne d’un âge où Alger ne subissait pas la géopolitique — elle la faisait.
S.M.