La déclaration du chef de la diplomatie marocaine, selon laquelle l’abstention russe est le fruit d’un échange direct entre Mohammed VI et le président Poutine, relève d’un procédé bien rodé : la fabrication d’un succès diplomatique fictif destiné avant tout à l’opinion publique marocaine.
L’entretien accordé par Nasser Bourita, ministre marocain des Affaires étrangères, à la télévision publique marocaine le 1ᵉʳ novembre 2025, au lendemain du vote de la résolution 2797 (2025) du Conseil de sécurité des Nations unies, illustre la manière dont le Maroc tente de transformer la neutralité diplomatique de certaines puissances en signes de validation politique de son occupation du Sahara Occidental.
«En prétendant que les abstentions russe et chinoise seraient le résultat de “l’intervention directe du roi Mohammed VI” ou encore une forme de récompense pour la “neutralité du Maroc” dans la guerre en Ukraine, le chef de la diplomatie marocaine construit un récit qui ne résiste ni à l’analyse des faits ni aux déclarations officielles des deux pays concernés», observe le site Noteolvidesdelsaharaoccidental.org.
La résolution 2797 (2025) : contexte et portée
Le 31 octobre 2025, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2797 prorogeant le mandat de la MINURSO jusqu’au 31 octobre 2026. Le texte a été approuvé par 11 voix pour, trois abstentions (Russie, Chine, Pakistan) et aucune voix contre. Si Rabat a célébré ce résultat comme un «triomphe de la diplomatie royale», il convient de rappeler une réalité juridique fondamentale : une abstention au Conseil de sécurité n’est jamais un soutien implicite à une résolution. Elle traduit au contraire une réserve, voire une désapprobation.
Comme l’a rappelé le représentant russe lors d’une précédente séance, «la Russie soutient une solution mutuellement acceptable entre les deux parties, fondée sur les résolutions du Conseil de sécurité et le droit à l’autodétermination du peuple du Sahara Occidental». Aucune référence au «plan d’autonomie» marocain n’a été formulée. Là où Rabat veut voir une validation, Moscou exprime une mise en garde.
La Russie : une abstention critique, non une approbation
Contrairement aux affirmations de Nasser Bourita, la position de la Fédération de Russie n’a jamais été dictée par des considérations bilatérales ou par la prétendue «neutralité marocaine» dans le conflit ukrainien. Moscou a clairement indiqué être «préoccupée par le caractère déséquilibré du texte présenté». Cette position s’inscrit dans la continuité des votes de 2022, 2023 et 2024, où la Russie avait déjà refusé d’entériner une rédaction qui, selon elle, «ne reflète pas la nature coloniale du conflit du Sahara Occidental, inscrit à l’agenda de l’ONU depuis 1963».
La déclaration du chef de la diplomatie marocaine, selon laquelle «l’abstention russe est le fruit d’un échange direct entre Sa Majesté le Roi et le président Poutine», relève ainsi d’un procédé bien rodé : la fabrication d’un succès diplomatique fictif destiné avant tout à l’opinion publique marocaine.
La Chine : une position de principe, pas un appui à Rabat
Dans son explication de vote du 31 octobre 2025, la Chine a réaffirmé son attachement «à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable», tout en estimant que le texte adopté «ne reflétait pas suffisamment les positions de toutes les parties concernées». À aucun moment Pékin n’a évoqué la diplomatie marocaine, encore moins exprimé une quelconque approbation du projet d’«autonomie» sous souveraineté marocaine.
Fidèle à sa doctrine de non-ingérence et au respect du droit international, la Chine s’abstient régulièrement sur la base d’arguments juridiques, et non pour des raisons politiques bilatérales. Attribuer à cette abstention une valeur émotionnelle ou un signe de gratitude envers le Maroc relève de la pure fiction. Pékin n’a jamais «remercié» Mohammed VI ; elle a simplement constaté l’absence de consensus.
Une rhétorique interne au service d’une fabrique de consentement
Le discours de Nasser Bourita doit être replacé dans un contexte interne : celui d’un pouvoir soucieux de consolider autour du «dossier national» un consensus artificiel. Incapable d’obtenir une reconnaissance claire sur la scène internationale, Rabat s’efforce de convertir des silences diplomatiques en adhésions supposées.
C’est ce que le chercheur algérien Belgacem Merbah décrit comme «une stratégie de conversion des abstentions en soutiens imaginaires». Là où les pratiques onusiennes traduisent un isolement diplomatique croissant, le pouvoir marocain tente d’imposer une narration victorieuse, alimentée par une communication d’État soigneusement calibrée.
Or, les faits sont sans équivoque : ni la Russie, ni la Chine, ni même le Pakistan — autre abstention du vote — n’ont exprimé la moindre sympathie pour le plan d’autonomie marocain. Leur position marque une distance critique face à un texte rédigé par les États-Unis, dans une logique d’allégeance diplomatique à Rabat, mais contraire à l’esprit du droit à l’autodétermination consacré par la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale des Nations unies.
Entre auto-légitimation et isolement diplomatique
Ce que Rabat présente comme un «succès diplomatique» est, en réalité, la preuve d’un soutien limité au sein du Conseil de sécurité. Loin d’exprimer une reconnaissance internationale de la position marocaine, l’abstention russo-chinoise révèle plutôt la persistance d’une opposition de fond à la tentative américaine — et française — de normaliser la présence marocaine au Sahara Occidental sans recourir au référendum d’autodétermination.
Loin d’honorer Mohammed VI, les réserves exprimées par Moscou et Pékin traduisent une méfiance croissante à l’égard de la diplomatie marocaine, qui peine à masquer son isolement face aux principes du droit international.
Synthèse : R.C.
