À l’heure où l’Algérie s’apprête à franchir un cap décisif dans la réforme de sa législation minière, un débat national s’impose. Pas par réflexe de rejet ou par nostalgie de l’économie administrée, mais par souci de souveraineté, de durabilité et de justice intergénérationnelle. La récente adoption d’une nouvelle loi minière, qui modifie en profondeur le cadre d’exploitation des richesses du sous-sol, suscite des inquiétudes légitimes. Car derrière le langage technique et les promesses d’investissements, se pose une question essentielle : qui contrôlera demain ce qui appartient à tous les algériens, présents et à venir ?
Une ouverture… mais à quel prix ?
Loin de tout dogmatisme, il faut reconnaître que l’Algérie a besoin de moderniser son secteur minier. Elle a besoin d’investisseurs, de transferts de technologie, d’expertise, et d’un écosystème industriel capable de transformer localement ses ressources. Mais cela ne justifie en rien un abandon de garde-fous essentiels.
La suppression de la règle 51/49 dans les projets miniers, permettant désormais aux opérateurs étrangers de détenir jusqu’à 80 % des parts, alarme la conscience nationale. Peut-on parler de souveraineté économique lorsque l’on perd la majorité du contrôle sur des ressources non renouvelables ? Peut-on accepter que les bénéfices d’aujourd’hui deviennent les pénuries de demain ? Et que reste-t-il du rôle régulateur de l’État quand les concessions échappent à tout contrôle public réel ?
La Constitution comme boussole
Les textes fondamentaux ne laissent pourtant aucune ambiguïté. La Constitution algérienne révisée en 2020 consacre un principe clair : les richesses naturelles appartiennent au peuple algérien. L’article 17 affirme leur caractère inaliénable, imprescriptible et insaisissable. L’article 18 ajoute que ces richesses doivent être exploitées au bénéfice du peuple, pas d’intérêts privés, et encore moins étrangers.
Quant à l’article 19, il encadre l’investissement privé et étranger dans une logique de souveraineté et de protection de l’intérêt général. En d’autres termes, l’ouverture n’est pas un blanc-seing, mais un contrat sous condition stricte.
Accepter cette loi minière sans garanties solides reviendrait à tourner le dos à ces principes constitutionnels. Pire encore, cela risquerait de reproduire les errements de la très controversée loi Chakib Khelil sur les hydrocarbures, qui avait soulevé un tollé national. Aujourd’hui, les mêmes erreurs menacent de se répéter dans le secteur minier.
Préserver pour demain ce que nous exploitons aujourd’hui
Il ne s’agit pas d’un refus de coopérer avec le monde, mais d’un impératif de préservation stratégique. Dans un contexte mondial marqué par la transition énergétique et la raréfaction des minerais sensibles (lithium, terres rares, cobalt), les ressources minières algériennes peuvent devenir un levier d’indépendance ou un piège de dépendance.
Le souvenir des exploitations mal encadrées d’Ouenza, d’Amesmessa ou encore celle de Boukhedra, laissées à l’abandon après avoir été surexploitées, est encore vif. Peut-on vraiment parler de développement quand l’exploitation se fait sans transformation locale, sans retombées durables, et sans responsabilité environnementale ?
Construire un modèle équitable et maîtrisé
L’Algérie peut attirer des partenaires fiables, respectueux des normes sociales, fiscales et environnementales. Mais elle doit imposer ses règles, et non s’adapter aux exigences d’acteurs extérieurs. Pour cela, des garde-fous sont indispensables.
Un choix de civilisation
Les ressources minières, qu’il s’agisse de fer, de phosphate, de lithium ou de terres rares, ne doivent pas devenir des biens aliénés au profit d’intérêts privés. Elles doivent servir l’industrialisation, la transition énergétique, le développement régional, la recherche scientifique, et la création d’emplois qualifiés.
Ce débat n’est pas une crispation idéologique, c’est une interpellation citoyenne.
“M. le Président de la République, en tant que garant de la Constitution, vous avez entre vos mains une décision qui engage non seulement le présent, mais aussi l’héritage que nous laisserons aux générations futures.”
La responsabilité n’incombe pas uniquement au chef de l’État. Elle pèse également sur le gouvernement, le Conseil des ministres, le Parlement dans ses deux chambres, et en dernier ressort la Cour constitutionnelle. Car valider cette loi minière sans en interroger les fondements et les conséquences, c’est légaliser un transfert progressif de souveraineté sur notre sous-sol.
Il ne s’agit ni de fermer les portes, ni de céder au repli, encore moins de diaboliser le capital étranger. Il s’agit de bâtir un modèle souverain, intelligent et responsable.
La richesse d’un pays ne se mesure pas seulement à ses réserves naturelles, mais à la manière dont il les gère au profit du plus grand nombre, et dans le respect du temps long. Dans cette équation complexe, la prudence, la transparence et la vision historique doivent guider l’action publique.
L’histoire ne retiendra pas la vitesse d’une réforme, mais sa capacité à renforcer durablement la nation.
Samir Mehalla
