L’Algérie est à la croisée des chemins dans sa quête d’une modernisation économique et d’une éradication progressive de l’économie souterraine.
Par Samir MÉHALLA
Au cœur de cette problématique se trouve la persistance de l’usage intensif de l’argent liquide et la réticence, voire le refus délibéré, de nombreux commerçants et entreprises à adopter les terminaux de paiement électronique (TPE). Cette conduite, bien qu’en apparence anodine, a des répercussions profondes sur la capacité de l’État à réguler, à fiscaliser et, in fine, à maîtriser sa masse monétaire fiduciaire en circulation.
L’enjeu est colossal : assainir l’environnement des affaires, garantir une concurrence loyale et priver l’économie parallèle de son oxygène.
La non-traçabilité : Un dégât collatéral
Les terminaux de paiement électronique, ces dispositifs technologiques, qui facilitent les transactions commerciales par carte bancaire ou via des plateformes de paiement mobile, sont des piliers fondamentaux de toute économie numérisée. Leur déploiement massif est censé fluidifier les échanges, sécuriser les paiements et, surtout, assurer une traçabilité intégrale des flux financiers. C’est précisément cette caractéristique, la traçabilité, qui semble constituer un repoussoir pour une frange significative du tissu commercial national.
La motivation est limpide : en privilégiant le règlement en espèces, les acteurs économiques opèrent dans une zone grise, se soustrayant aux obligations de déclaration, de facturation exhaustive et de tenue d’une comptabilité rigoureuse. Cette opacité délibérée engendre un manque à gagner fiscal et parafiscal considérable pour le Trésor public. Les recettes qui devraient alimenter les services publics, les infrastructures et les programmes sociaux sont ainsi détournées, créant une distorsion dans la répartition des richesses et un fardeau fiscal accru pour les entités conformes.
Plus grave encore, cette pratique nourrit l’écosystème de l’économie informelle, rendant inopérantes les politiques monétaires et budgétaires. Si les transactions ne sont pas dûment enregistrées, comment la Banque Centrale, ou toute autre institution monétaire, peut-elle estimer avec précision la quantité de monnaie fiduciaire (billets et pièces) en circulation ? Sans une donnée fiable sur la masse monétaire en dehors des circuits bancaires, toute tentative de contrôle de l’inflation, de gestion de la liquidité ou de formulation de politiques économiques s’apparente à naviguer à l’aveugle. L’impact sur la stabilité macroéconomique est indéniable.
La quête de la transparence : Leçons des économies «cleans»
La lutte contre l’informel et l’optimisation de la traçabilité financière sont des priorités absolues pour de nombreux États qui aspirent à une gouvernance économique robuste. Des pays comme la Suède, pionnière dans la dématérialisation des paiements, ou encore les nations d’Europe du Nord, ont démontré la faisabilité et les bénéfices d’une transition vers une économie où le cash est marginalisé.
Leurs stratégies reposent sur plusieurs piliers :
Incitation à l’usage des paiements électroniques : Au-delà de l’obligation, des avantages fiscaux (réductions d’impôts pour les commerçants utilisant les TPE, déductions pour les consommateurs) peuvent être instaurés. Des campagnes de sensibilisation massives sont également nécessaires pour éduquer le public sur les avantages de la numérisation (sécurité, praticité, etc.).
Renforcement du cadre légal et réglementaire : Des lois strictes, assorties de sanctions dissuasives, doivent être appliquées pour toute infraction relative à la non-déclaration ou au refus d’utilisation des TPE. L’obligation de délivrer une facture pour toute transaction, quel que soit son montant, doit être généralisée et contrôlée.
Modernisation des infrastructures de paiement : La disponibilité et la fiabilité des réseaux de communication, l’interopérabilité des systèmes bancaires et la réduction des coûts liés à l’acquisition et à l’utilisation des TPE sont des facteurs clés. La promotion de solutions de paiement mobile simples et accessibles peut également accélérer l’adoption.
Renforcement des capacités de contrôle fiscal : L’administration fiscale doit être dotée des moyens humains et technologiques nécessaires pour mener des audits ciblés et identifier les poches de non-conformité. L’analyse des données transactionnelles devient alors un outil puissant pour débusquer les évasions fiscales.
La volonté politique…
Pour notre pays, l’enjeu dépasse la simple collecte d’impôts. Il s’agit d’une question de souveraineté économique et de justice sociale. La persistance de l’informel alimente non seulement les lacunes budgétaires mais crée également un terrain propice à des activités illicites, à la concurrence déloyale et à une dévalorisation du travail formel.
La réforme doit être multifacette, engageant non seulement les institutions financières et fiscales, mais aussi le citoyen. Il est impératif de faire comprendre que le paiement électronique n’est pas une contrainte mais un levier de développement, de transparence et de modernisation. L’État algérien, à travers une volonté politique inébranlable, des campagnes de sensibilisation percutantes et l’application rigoureuse de la loi, peut inverser cette tendance et engager le pays sur la voie d’une économie plus transparente, plus juste et, à terme, plus prospère. La quantification précise de la masse monétaire fiduciaire en circulation est un prérequis fondamental à toute planification économique efficace, et les TPE sont les capteurs essentiels de cette information vitale.
S.M.
									 
					