A l’âge où l’on a toujours faim parce que la tambouille familiale ne suffit plus à assurer la croissance osseuse ou à l’heure du casse-croûte pour les travailleurs de force, les «spécialités de rue» sont là pour caler les estomacs qui crient famine. Héritage transmis par le petit peuple pied noir, en proie aux soucis pécuniaires, ou legs millénaire des ancêtres, les spécialités populaires sont devenues une tradition qui ensoleille les papilles et réchauffent le cœur.
El Garantita oua akhaouatouha…
La reine de la rue algéroise est incontestablement la Garantita, appelée également Galentica, Karane ou Hami, dans l’Oranie son lieu d’origine. Bourratif et succulent, ce flan de pois chiches à l’huile, a été créé dans un contexte avéré de famine. La légende le fait naître, lors d’un siège d’Oran en 1703. A cours de ressources, les militaires espagnols du Fort de Santa Cruz, auraient broyé ce qu’il leur restait comme pois chiches et auraient fait cuire la première garantita de l’histoire. Galantika dérive du mot espagnol caliente qui veut dire chaud. Le diminutif Ica ou ico, est usuel à Murcie et en Aragon dit-on. Si l’on se demande si les assiégeurs du 18 e siècle étaient des Beni Ameur alliés aux ottomans, l’on sait par contre que cette nourriture de rescapés que l’on prête aussi aux prisonniers, a traversé les époques avec un succès non démenti ! Qu’on en juge plutôt. Une demi baguette de pain, garnie de garantita au cumin et harissa est écoulée à 50 dinars, soit le prix d’une seule minuscule brochette de viande. Autre legs espagnol, les cocas, chaussons fourrés de fritta, mélange de tomates, poivrons et oignons, sont également très appréciés. Les commerces locaux y ont rajouté des miettes de thon ou de poulet, du fromage et des olives à la grande joie des consommateurs. Après les Espagnols, les Italiens nous ont laissé la pizze, épaisse pâte à pain, garnie d’ail, d’anchois, d’olives et de sauce tomate au thym. Cette pizza primitive (appelée Sicilienne aux USA) est finalement tombée en désuétude avec l’arrivée de la pâte plus fine et croustillante, garnie de sauce tomate, olives, fromage, thon ou viande hachée et vendue à la «tranche», comprendre la part. Dans notre variante nationale, elle est volontiers arrosée de mayonnaise et recouverte de frites croustillantes ou de garantita ! La petite dernière du genre est la petite pizza carrée à pâte très fine et croustillante, seulement recouverte de sauce tomate.
De Saint Augustin à nos jours
L’une des toutes premières recettes du fast-food algérien est à base de céréales grillées, réduites en farine immédiatement prête à l’emploi. Mélangée au beurre et au miel dans l’Est, à l’huile d’olive et aux graines de caroubier en Kabylie, mêlées de dattes sèches réduites en poudre, d’arachides ou de pois-chiches, ou même de fromage sec dans le Sahara, ce mets qui a de nombreuses appellations, selon les régions, est fort ancien. Il est mentionné par Saint-Augustin dans ses Confessions. Quand sa mère qui l’a accompagné à Rome, fait des offrandes de bsissa aux Saints chrétiens selon «la tradition des femmes d’Afrique », elle se fait morigéner par le prêtre italien. Cette spécialité encore présente sur le plateau de réception constantinois aux côtés de la confiture d’abricot des Aurès, était une nourriture toujours transportée par les guerriers berbères, à cheval, en raison de sa facilité de préparation.
Contre l’hiver, Doubara et Hommouss double-zit
Aliment de base des ouvriers du Sud, la doubara est une soupe qui mêle les légumes secs (pois chiches et fèves) à la purée de tomates fraîches, citron, piments au vinaigre et huile d’olive. Elle concurrence une autre soupe de pois chiches servie sans tomate mais avec un hachis d’oignons et de persil et arrosée d’huile d’olive. « Double zit » réclamaient les étudiants quand la neige blanchissait les toits de la vieille Constantine. Contre le froid matinal des Hauts-Plateaux de l’est, un thé bouillant et des beignets, pris sur le pouce chez le «Tunisien ». Une variante exigée par les appétits adolescents est le «Spécial», sandwiche fait de deux beignets fourrés d’un qalbellouz. Les incontournables anti-froid sont également les m’hadjeb chaudes et bien piquantes. Cette pâte feuilletée, farcie d’oignons, tomates et piments, est peut-être plus appréciée que les pizzas par temps hivernal. Au chapitre des succès apparus il y a à peu près une quinzaine d’années, les boutiques de thé saharien, accompagné de fruits secs et sucreries de toutes sortes, ne désemplissent plus. Concernant les boissons prisées dans les profondeurs rurales du pays, le café au poivre noir ou le thé de Khonjlène (galanga) piquant et vivifian inévitablement entouré de volutes de «Ar3ar» (Génevrier de Phénicie). Une fumée qui guérit et apaise.Mais ceci est un tout autre volet de notre culture populaire.
Rania H.