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Entretien avec Nadjib Ferhat : L’homme qui chuchote à l’oreille des fossiles

  Crésus : Avec vous, on entre de plain-pied dans les temps reculés de la préhistoire, à savoir le quaternaire. Que représente pour vous cette période géologique ?

Nadjib Ferhat : C’est une période qui représente pour moi, l’émergence de l’humanité. En effet, chacune des périodes géologiques connues, comme le primaire, le secondaire, le tertiaire et le quaternaire se distingue par l’apparition ou la disparition d’un fossile. Le quaternaire se distingue du tertiaire par l’apparition du fossile homme. C’est ce qui nous amène tout de suite à considérer le quaternaire comme étant la période où apparait l’homme, et l’étude du quaternaire implique directement l’étude de cet homme en tant que fossile géologique mais aussi comme producteur de culture. D’où la définition de la préhistoire : c’est l’étude de cet homme et de ses productions culturelles, depuis son apparition jusqu’à l’invention des écritures. Là où commence l’histoire.

Vous avez entre autres, travaillé sur les industries préhistoriques de la paléo vallée de Timimoune dans leur contexte stratigraphique. Peut-on résumer les résultats de ces recherches ?

C’est une recherche que j’ai menée fin des années 70, début des années 80, où j’ai eu le bonheur et la chance d’étudier la mise en place de la sebkha de Timimoune et la mise en place du grand Erg occidental en suivant l’évolution des installations humaines préhistoriques dans la région. Cela a permis de situer la disposition actuelle de la vallée de Timimoune en tant que sebkha depuis l’obstruction des eaux qui lui parvenaient de l’Atlas saharien par l’installation de l’actuelle Erg occidental. Cette disposition date de la civilisation atérienne, à savoir depuis quarante mille ans.

Vous avez également dirigé des fouilles archéologiques dans des sites des régions de Boussaâda et du Tassili Ajjer. Existe-t-il des ressemblances entre les deux sites ?

Le travail exécuté à Boussaâda en 76-77 a permis la confirmation de travaux antérieurs mettant en évidence une phase climatique aride située autour de treize mille ans, qui a eu pour conséquence l’obstruction et le remblaiement par des amas sableux de toute l’écluse (ouverture) du piémont sud de l’Atlas saharien. Ces travaux ont permis de démontrer une diminution des nappes d’eau et un déplacement des limites bioclimatiques dans cette région. Une culture préhistorique a été mise en évidence au sommet de ces remblaiements, celle d’une population ibéro-maurassienne qui occupait les lieux à ce moment-là (13 000 ans).  Par contre le travail sur le Tassili était beaucoup plus complexe, s’étalant sur de nombreuses années. Tout d’abord, il y eut une participation aux travaux de fouille du site de Tin Hanakaten, au sud du Tassili. Puis il y eut un second axe : pour une mise au point chrono-stratigraphique de l’art rupestre saharien par la conjonction d’une étude paléogéographique et géomorphologique en relation avec un art gravé dans l’oued Tidunadj (Tassili toujours). Cette étude menée en collaboration avec deux autres collègues a permis de démontrer que l’art rupestre saharien est paléolithique et non plus uniquement néolithique, comme beaucoup le croyaient jusqu’à une date récente. Maintenant, il est confirmé que l’art rupestre du centre du Sahara date au moins de l’aride pré-ocène, une période qui s’étale entre vingt et onze mille ans. En troisième lieu, j’ai eu la chance de diriger une fouille préhistorique sur une nécropole animale que nous avons datée du sixième millénaire. Cette nécropole s’étale sur 80 ha dans l’oued Maukhan (Tassili). Les travaux nous ont permis de mettre en évidence un rituel autour du bœuf que pratiquaient les hommes préhistoriques. Ces pratiques cultuelles se résumaient en la mise en terre dans des fosses de 80 cm à 1 m de diamètre sur 1,20 m de profondeur, différentes parties du jeune bœuf sacrifié en mettant la partie postérieure à la base, le reste de l’animal par-dessus avec quelque fois le crâne fiché au milieu de l’inhumation. (Le museau vers le bas). Tout comme nous avons mis en évidence que ces animaux étaient mis dans des sacs avant leur enterrement. Des traces de raclage de la chair sur des os nous permettent de croire que toute la chair était enlevée et que certains os étaient même calcinés, accompagnés de poterie et d’autres vestiges dans l’inhumation.

Dans les temps les plus reculés, le Sahara peut-il être considéré comme une mer intérieure ou plutôt comme un grand lac ? Quelles furent les conséquences de son assèchement sur l’évolution de l’homme ?

Depuis l’apparition de l’homme, le Sahara est dans l’état actuel, avec cependant des nuances, de déplacement des limites bioclimatiques, qui ont permis au Sahara, par moment de gagner en humidité, devenir un peu plus clément pour l’habitat (hommes, animaux, végétation), donnant des paysages certes un peu plus vert mais limités dans l’espace. Par d’autres moments, d’intenses périodes arides et sèches ont affecté le milieu saharien. C’est cette aridité qui a été le facteur le plus imposant et le plus déterminant dans l’évolution climatique du Sahara. L’actuelle aridité est présente depuis au moins les deux derniers millénaires.

(Suite de l’entretien dans l’édition de demain)

Ahmed. B

Rédaction Crésus

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