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Si Mohand et Hiziya : Histoire d’une photo

   Conclusion : cette photo ne peut pas être celle de Hiziya, mais celle d’une jeune femme des Ouled Nail… Connaissant la beauté et la grâce des Nailiyates, on ne sera pas étonné de la confusion entretenue pendant longtemps, et qu’on ait attribué cette photo à l’héroïne de Benguitoun. La qasida est si célèbre qu’elle a été mise en musique et  chantée par des générations d’interprètes, dont le grand chantre Abdelhamid Ababsa. En outre, Waciny Laredj, dont l’imagination est fertile, avance une autre hypothèse : cet amoureux chagriné dont parle le poème n’est autre que le poète Benguitoun lui-même. Ben entendu, ça reste une hypothèse, car on ne connaitra jamais la vérité. En fait, Hiziya reste une figure de la tradition orale chargée de sens et de symboles, puisque pour beaucoup de gens, elle représente l’Algérie, qui s’est retrouvée sous le joug après sa colonisation par la France.

Cela dit, cette histoire de la photo de Hiziya prise par un photographe allemand m’a fait penser à une autre photo, censée être celle du poète Si Mohand ou Mhand, qui a vécu à peu près à la même époque (environ 1850-1905), dans la région de Kabylie. Cette photo en noir et blanc est celle d’un homme cinquantenaire, assez corpulent, le visage rond aux poils poivre et sel, vêtu d’un burnous usé, la tête ornée d’une chéchia en feutre, et portant une canne et un baluchon. Ça pourrait être celle d’un camelot, qui va de village en village pour faire du porte-à-porte et de la vente à la criée. Mais elle pourrait bien être celle de Si Mohand ou Mhand lui-même. Dans l’un ou l’autre cas, on n’a aucune certitude, car elle n’est pas authentifiée.

La poésie de Si Mohand est connue oralement dans les villages de Kabylie, mais le poète lui-même n’a pas laissé d’écrit. Le premier recueil a été fait par Saïd Boulifa. L’auteur du fils du pauvre, Mouloud Feraoun, qui s’est intéressé à lui, en a publié un autre… Il est certain que si le grand écrivain de Tizi HIbel n’avait pas été assassiné par l’O.A.S en 1962, il aurait continué son travail, mais c’est un autre grand écrivain, à savoir Mouloud Mammeri, qui va le faire, et d’une fort belle manière.

Pour rappel, le poète Si Mohand ou Mhand a eu une vie tragique. Puisqu’en 1871 son père fut exécuté, son oncle déporté en Nouvelle-Calédonie, et le reste de sa famille dispersée (son frère et sa mère se sont exilés en Tunisie)… Lui-même n’a échappé à l’exécution que grâce à l’intervention d’un officier français qui s’était écrié : «Vous n’allez pas fusiller un adolescent !». Il était semble-t-il assez frêle à l’époque, d’où l’intervention in extrémis de l’officier français… Mais tous ces événements l’ont marqué à jamais… On ignore pour quelles raisons il n’était pas parti avec son frère en Tunisie, mais il va vouer le reste de son existence à la muse… On raconte qu’il avait entendu en rêve un ange qui l’avait guidé dans cette voie. Il va connaitre l’errance, assez souvent le dénuement, il ira de ville en ville, de village en village, de Tizi Ouzou à Annaba, et même à Oran parait-il. Il fera même un crochet à Tunis, mais la rencontre avec son frère s’était mal déroulée… Il fit quelque commerce, dormait dans des cafés ou des hammams et souvent à la belle étoile… Il a chanté l’amour, l’exil, l’errance, ses vers n’ont rien à envier à ceux du poète  symboliste Verlaine, avec lequel il partage un gout prononcé pour l’absinthe, qui s’est révélée être un vrai poison. Sa rencontre avec Si Mohand Ou Lhocine est restée célèbre, et comme il avait fait vœu de ne jamais répéter ses poèmes, il fut mal compris au final. C’est la mémoire populaire qui a sauvé de l’oubli sa production poétique, à la métrique particulière.

Ahmed B.

Rédaction Crésus

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