Question : Vous ne venez de réaliser le feuilleton Eddama, un film trash, dépouillé, cru… On remarque une certaine violence dans les dialogues et les répliques… Pourquoi ce choix ?
Réponse : je pense que pour ce qui est des dialogues, la scénariste Sarah Bertima s’est beaucoup inspirée des dialogues des quartiers populaires. Et moi, en tant que réalisateur, j’ai voulu transmettre l’énergie des quartiers populaires et de Bab el Oued… On a mis en lumière des gens, sur lesquels en général on évite de pointer le projecteur, par crainte ou je ne sais pas quoi. Je pense que la scénariste a voulu faire parler une catégorie de gens, qui sont longtemps restés dans l’ombre à la télévision et au cinéma en Algérie, comme s’ils n’existaient pas.
Question : L’action se déroule dans le quartier mythique populaire de Bab el Oued. Les personnages sont sortir directement du réel. Comment avez-vous procédé pour la création des personnages ?
Réponse : Je pense qu’ils ont été créés par la scénariste. Après, j’ai surtout travaillé sur le casting et la direction artistique, pour donner à chaque personnage une âme réelle et différente des autres personnages. Et cela à travers les tenues vestimentaires et le look général, ou la façon d’agir et de réagir de chacun. Car le téléspectateur a une image des quartiers populaires dans son subconscient et nous voulons nous rapprocher au maximum de cette image.
Question : Le moteur de l’action ici c’est le trafic de drogue. On a l’impression de regarder un documentaire-fiction. N’avez-vous pas un penchant pour le documentaire. ?
Réponse : Le moteur de l’action à mon avis ce n’est pas le trafic de drogue. Mais l’histoire complexe, ou la relation complexe des deux personnages principaux, Allam (alias Mustapha Laribi) et Houria (alias Rym Takouchet). A travers ces deux personnages, on découvre d’autres personnages qui ont un quotidien différent comme le personnage de Réda (alias Krimo Derradji), le frère d’Allam, qui lui est un trafiquant de drogue. Ce n’est qu’un axe parmi d’autres axes, qui alimentent ce drame social. Dès ma première lecture du scénario, le choix de la mise en scène a été porté vers le néo-réalisme italien, car je pense que c’est le meilleur moyen de décrire un quartier populaire dans la vie des gens au quotidien. Mais moi en tant que réalisateur, je n’ai aucun penchant pour le documentaire, mais j’utilise tous les outils disponibles qui me donnent la possibilité de sortir l’énergie qui se trouve dans le scénario.
Question : D’aucuns affirment que le dialecte algérien n’est pas compris par les peuples du Moyen-Orient, et qu’on devrait utiliser dans nos films et nos feuilletons le dialecte égyptien. Qu’en pensez-vous ?
Réponse : Je suis tout à fait contre, et je suis convaincu que notre dialecte est très beau. On doit le défendre, et l’imposer petit à petit par la qualité de nos travaux artistiques, les chansons, les films, les feuilletons… Les gens d’ailleurs vont essayer de comprendre ce qu’on leur dit car le travail les aura intéressés. Moi je suis un réalisateur qui croit que plus le travail est rempli de détails et d’authenticité, plus il donnera aux autres envie de le découvrir et de faire des recherches sur lui. Ce qui est le cas de la série Eddama, qui a suscité un grand intérêt et de critique de la part des pays du Moyen-Orient. Et même de l’Occident, car la série est très locale et très algérienne.
Question : Vous avez assisté aux assises sur le cinéma… Que peut-on attendre de ces assises ? Les résultats sont-ils en mesure de donner une dynamique nouvelle à la production de films et de feuilletons ?
Réponse : Je pense que ces assises ont permis à beaucoup de collègues et autres acteurs dans le domaine de donner leur avis, et partager leur expérience et leurs remarques pertinentes. C’est ce qui va aider à mon avis à relancer le cinéma algérien après l’adoption de la loi sur le cinéma. Car on sent une réelle volonté politique cette fois pour lancer un vrai cinéma algérien, mais pas que des films.
Question : Avant de vous lancer dans le feuilleton, vous avez réalisé plusieurs courts métrages… Quel intérêt accordez-vous à ce format ?
Réponse : Moi je pense que le court métrage est un format artistique à part entière, et qu’il n’est pas juste une étape pour passer au long métrage. Il ne fait aucun doute que le court métrage est en mesure de montrer le potentiel artistico-technique de son auteur et lui permettre d’avoir la possibilité d’entrer dans le monde plus commercial du long métrage, car ce dernier exige beaucoup de moyens. Mais un court métrage est aussi un format très noble, très artistique et très distinct. Il demande une réalisation totalement différente du long métrage. Et moi, personnellement, je ferai toujours des courts métrages, car il y a des histoires très intéressantes, qu’on ne peut raconter que par le format court.
Question : Que pensez-vous des dramatiques de ce Ramadhan ?
Réponse : Je pense pour ma part qu’ils ont atteint un niveau excellent, mais dans le même temps, on constate qu’il y a trop de mélange des genres. Ce qui fait qu’on a encore besoin de travailler davantage sur les bases et les techniques de l’écriture et de la mise en scène.
Question : Quelles sont les mesures à prendre pour mettre en place une véritable industrie cinématographique ?
Réponse : La première chose c’est d’adopter la loi sur le cinéma, en prenant en considération les remarques, suggestions et propositions des professionnels du métier. On doit aussi nous intéresser plus au public algérien dans nos œuvres artistiques. Car moi, personnellement, je crois en un cinéma populaire. Car le public, c’est la condition d’un travail artistique captivant et je pense sincèrement que c’est la qualité des films qui va relancer le cinéma en Algérie, et en parallèle, qui va pousser beaucoup d’investisseurs à participer à la promotion et au financement de l’industrie cinématographique, en commençant par la construction de salles de cinéma à travers les multiplexes modernes.
Question : Que pensez-vous du statut de l’artiste ?
Réponse’ : Je pense que la situation de l’artiste s’est améliorée, mais dans le même temps, on doit y mettre beaucoup de moyens, parce que beaucoup de nos artistes continuent de souffrir. Ils ont besoin d’un soutien financier et moral, pour affronter les difficultés de la vie.
Question : Une suite pour Eddama ?
Réponse : J’avoue que pour le moment, la question doit être posée à la scénariste Sarah Bertima. Elle doit déjà avoir la volonté et l’envie d’écrire une autre saison. Si c’est le cas, moi je ne verrais pas d’inconvénient à tourner cette saison 2, avec bien sûr de bons moyens de production.
Ahmed B.