Entretien

Sergio Arzeni à propos de l’économie de la connaissance : « 3 innovations stratégiques s’imposent »  

Sergio Arzeni : La créativité est le moteur de la croissance dans l’économie de la connaissance qui caractérise ce début du XXIème siècle, et cela marque la question de l’innovation avec des termes et des perspectives différentes par rapport au passé. Dans l’économie industrielle, du XXème siècle, le débat et la politique sur l’innovation tournait autour de la complémentarité ou de l’alternative entre : recherche de base, fondamentale, théorique et recherche appliquée ; invention et commercialisation de la recherche ; innovation de produits et innovation de procédés; innovation radicale (breakthrough) ou innovation progressive (incremental) ; trajectoires d’innovation et parcours déterminés par le passé (path dependency) ; recherche en interne (in house) et externe, ou acheté ; les brevets, le copyright et la protection de la propriété intellectuelle ; les pôles d’innovation et les parcs technologiques et scientifiques ; le transfert de la recherche de l’université à l’industrie, du secteur de la défense aux applications civiles.

La nouvelle dimension liée à la notion de créativité change la donne, le débat et les termes de la politique parce que l’on sort du sentier tracé depuis la révolution industrielle par la sectorialisation et la spécialisation qui ont modelé le développement de la société industrielle où plus l’on était spécialisé plus on réussissait dans la vie professionnelle. Aujourd’hui, par contre, on est en train de redécouvrir une idée de la connaissance plus ouverte, plus généraliste et généralisée, plus inter et multi disciplinaire. L’architecture des nouvelles universités est en train de changer radicalement pour redécouvrir le concept universel de la recherche et du savoir. Les universités modernes réunissent dans un même espace les professeurs et les étudiants de différentes facultés humanistiques et scientifiques. Ceci est une rupture par rapport aux structures universitaires spécialisées, où chaque faculté avait un immeuble séparé des autres. Ces nouvelles architectures devraient favoriser l’éclosion de la créativité qui est stimulée par la rencontre et le choc entre différentes cultures et disciplines. Thomas Friedman (New York Times) a défini l’université moderne comme le puits de pétrole en raison du grand nombre d’innovations issues de cette nouvelle forme d’université.

Serait-ce alors une nouvelle génération d’entrepreneurs, les entrepreneurs du XXIe siècle, qui est en train d’inspirer les stratégies, les pratiques et les modèles d’innovation et de création de valeur partagée ?

La créativité est d’autant plus liée à une notion d’entrepreneuriat beaucoup plus structurant et généralisé où jouent beaucoup de facteurs non technologiques et intangibles, comme la confiance, le capital social et relationnel, la vitesse (qui réduit le cycle de vie des produits et des innovations). Tout cela met l’accent sur la compétitivité de différents écosystèmes dans les marchés globaux qui changent très rapidement. Mariana Mazzuccato, dans son récent livre «The Entrepreneurial State», documente comment un grand nombre d’entreprises innovantes, à commencer par Apple, ont réussi grâce à l’exploitation des résultats de la recherche publique. Mais la créativité liée à la dynamique entrepreneuriale fait en sorte qu’aujourd’hui on observe deux phénomènes parallèles :

-un grand nombre d’innovations créés par des nouvelles PME qui sont ensuite rachetées par des grandes entreprises. Le cas de CISCO dans ce sens est paradigmatique d’une croissance fondée sur le rachat de pépites innovantes où son savoir-faire n’est pas de générer de l’innovation, mais d’intégrer les nouvelles acquisitions dans un système complexe et de les valoriser.

-Un déferlement entrepreneurial dans l’économie sociale, les industries créatives, les services, l’auto-entrepreneuriat qui se caractérisent par des innovations non technologiques, sociétales ou comportementales, de style de vie, de nouveaux modes de communiquer et générer de la valeur.

Comment envisager l’innovation en partant des besoins du grand public à travers une « Hybridation Market Pull Tech Push » ?

Pour innover au XXIème siècle, il faut modifier et adapter les formes organisationnelles des entreprises ainsi que les comportements culturels. Dans ce sens, les innovations fondamentales concernent l’organisation de l’entreprise, le circuit d’approvisionnement, le réseau de distribution, la marque ou label, l’interaction avec les clients et le consommateur final, la gouvernance de la filière, la base familiale ou des membres associés à l’entreprise, la taille de l’entreprise et les économies d’échelle que l’on peut atteindre, les transformations du capital immatériel et des relations sur lesquels se fonde le business de l’entreprise individuelle. Tous ces aspects ne peuvent être examinés isolément les uns des autres, mais doivent être analysés en tant que système, comme composants d’une « formule compétitive » qui permet à l’entreprise d’atteindre et régénérer en permanence son avantage compétitif dans des segments spécifiques de marché. Les innovations stratégiques sont donc celles qui contribuent à la fois à créer un business durable pour une entreprise individuelle, et à créer les conditions culturelles, cognitives et institutionnelles d’un changement plus vaste qui, s’élargissant à d’autres entreprises, rendent possible l’adaptation compétitive des filières et de tout le système productif local. La façon de construire une nouvelle économie de la connaissance – à savoir une nouvelle manière de générer des idées, de les « industrialiser » et vendre dans des formes requises par les clients potentiels – impose d’intervenir avec 3 innovations stratégiques notables :

-La capacité d’absorption (absorptive capacity) dont dispose l’entreprise doit permettre l’accès aux connaissances externes à un prix raisonnable, mais aussi identifier quelles sont, dans le circuit mondial, les connaissances effectivement innovantes et utiles pour son propre usage. Chose compliquée pour les entreprises qui ne travaillent pas directement sur les frontières de la technologie, mais qui ont besoin de disposer des meilleures solutions technologiques.

–  La créativité personnelle, organisationnelle et sociale, qui doit permettre de proposer des solutions originales et exclusives, capables d’alimenter des avantages durables à moyen terme. L’usage différent des connaissances importées d’autrui est fondamental dans une économie où l’on veut conserver sa position dans des systèmes à haut revenu (et donc à haut coût), car la seule justification durable des différences de revenu par rapport aux pays « low cost » réside dans un savoir-faire que les autres ne possèdent pas. La créativité utile est celle qui nous permet de gagner dans la compétition économique, à savoir la créativité que les clients potentiels sont capables de reconnaître et prêts à payer.

-la multiplication des usages et de la valeur produite par les connaissances proposées et vendues sous forme de produits, services, licences d’usage sur des marchés et des secteurs d’application toujours plus vastes. Posséder de bonnes connaissances « importées », et les appliquer de façon créative dans la dynamique « problem solving » de l’entreprise, ne crée une valeur significative seulement si l’exploration de nouvelles techniques est suivie par une exploitation efficace. La multiplication doit d’appuyer sur des réseaux qui permettent d’utiliser les marques, brevets, chaînes relationnelles, rapports de confiance, de loyauté ou d’appartenance qui permettent aux entreprises, qui ont investi dans la production et la diffusion de la connaissance, d’avoir un retour économique confortable…

I. V.

Rédaction Crésus

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