Entretien réalisé par S. Méhalla
Crésus : Au sujet du Web, vous évoquez la dictature de la transparence. Expliquez-nous cette nouvelle notion et comment en est-on arrivé-là !
Emmanuelle Hervé : Nous en sommes arrivés-là parce qu’il y a eu rupture de la confiance. Lorsqu’on regarde les statistiques, notamment les enquêtes de Sciences Po ou autres, on voit que seulement une personne sur quatre croit en ce que racontent les médias déjà. Dans ce que racontent les autorités, les agences –agences de santé, les ministres et également de ce que racontent les chefs d’entreprise et, surtout, les grandes entreprises cotées. Au fait, quand les gens n’ont pas confiance, l’on se demande alors qui sont les gens qui font confiance. L’on se rend compte que ce sont les citadins –gens de la ville – les journalistes et les gens qui font l’opinion. En gros, ils font confiance à eux-mêmes et ça s’arrêt-là. Le grand public ne fait pas confiance en ce que disent les gouvernements, les autorités et les médias. Du coup, cette confiance s’est translatée sur internet par l’effet internet, ce qu’on appelle l’effet Tripadvisor. Des avis qui circulent sur le net par la magie du peer to peer – pair to pair. Ce sont des gens que donnent les gens sur internet pour un séjour, pour des vacances, pour, pour… Au fait, je vais faire confiance à un père de famille avec un certain profil et qui émet un commentaire. Ceci, pour dire que la confiance est aujourd’hui sur internet. On fait beaucoup plus confiance au copain de facebook qui répond à une rumeur sur un sujet quelconque qu’aux médias qui traitent du même sujet. C’est comme ça que l’on a aujourd’hui des théories du complot, diverses et variées, qui fleurissent énormément sur internet et que l’on a beaucoup de mal à éliminer. Pour contrecarrer cela, les grands médias tels que Le Monde, Google, même le staff de Macron mettent en avant le fact checking. Il y a le décodex du journal Le Monde pour les détections des fausses nouvelles. Facebook fait aussi du fact cheeking… Les choses commencent à s’organiser et même Internet est quelque chose d’assez récent d’une certaine manière. C’est donc la dictature de la transparence parce qu’au départ vous aviez confiance de ce que disaient les grandes institutions, de ce que disaient les gens et les médias et quand il n’y a pas confiance on oblige à la transparence. On vous oblige donc à publier vos comptes, votre fortune, etc.. Ça crée un climat de dictature, certes, mais ça ne va pas restaurer la confiance. Pour les entreprises, ce climat les oblige d’être sur un mea culpa si elles sont épinglées. Elles ne peuvent plus se cacher derrière leur petit doigt, grâce au phénomène internet qui a changé les choses. On ne peut plus se dire que ça ne va pas se voir, que ça va s’arranger… Ça n’existe plus ça. C’est un phénomène fondamental pour les entreprises.
Finalement, la transparence ne résout pas le problème de la confiance ?
Pas du tout ! La transparence est un palliatif. La transparence si on la fait à moitié ne donne rien. On a vu cela avec la crise de Volkswagen. Ils ont menti durant une année aux Etats-Unis – mentir pour un Américain, c’est grave, c’est un problème culturel aussi et surtout cette marque : la rigueur allemande, la sécurité…– et on s’aperçoit qu’ils ont fait les guignols comme si c’étaient des Italiens. Plus vous donnez, par la pub, le marketing, une image de vous-même plus que lorsque l’on se rend compte que c’est une fausse image et plus les gens sont déçus. Par exemple, tel candidat. Sa campagne a été bâtie contre la corruption, lui plus blanc que blanc. Et, forcément, le jour où les gens lui ont sorti ses casseroles, qu’il était aussi pourri que les autres, les choses étaient plus graves. La transparence, non, elle ne va jamais remplacer la confiance.
Comment gérer une crise de confiance dans une grande entreprise?
Dans une entreprise, il est très facile de casser la confiance que de la restaurer. Je dis toujours de faire attention déjà à ne pas la casser. C’est comme la réputation, on va mettre des siècles à la construire et 10 minutes pour la détruire. La première chose est de se dire : Qu’est-ce que je pourrais éviter de faire pour ne pas casser la confiance dans mon entreprise. Eviter les injonctions contradictoires qui rendent les gens un peu fous. On va dire par exemple que l’entreprise fait un super résultat et tout d’un coup on ferme l’usine. Lorsque la confiance est très endommagée, comment que l’on pourrait gérer la crise ? Il faut chercher les bonnes personnes, en particulier les tops-managements. Il y a deux solutions, une interne et l’autre externe. En interne, on peut changer le bonhomme ou la bonne femme surtout quand on fait plus confiance dans une personne en particulier. Mettre quelqu’un d’autre pourrait être une solution. A l’extérieur, souvent, les entreprises qui ont subi de grandes crises changent de nom. Il y a des cas comme ça. Les sociétés restent là mais elles changent de nom. Derrière, il y a des changements structurels à faire en profondeur. Dans le management. Une autre chose à faire aussi, c’est de faire faire un audit financier par un cabinet d’experts de renommée. Crédible et légitime.
Genre KPMG ?
Surtout pas, ils se sont fait prendre en Afrique du Sud pour corruption avec GuptaLeaks. Ils sont cramés. BDO, oui, une boîte française et qui sont aujourd’hui 4e au monde. Ils ont inventé un truc assez génial, un software qui nous dispense même de se déplacer. Ils repèrent toutes les anomalies des flux, emails, comptes… L’Oréal a adapté cette technique sur toutes leurs filiales en particulier. La corruption finit toujours par se voir. Le truc est qu’aujourd’hui tout finit par se voir.
Pourquoi ?
Parce qu’au-delà d’internet, il y a le phénomène des lanceurs d’alertes qui aujourd’hui sont protégés par la loi. Si vous êtes à l’intérieur d’une entreprise et que vous avez l’impression d’un comportement qui n’est pas éthique, le patron ne s’arrête pas de s’acheter des Rolls – je donne un exemple – vous pouvez, tout en étant protégé, de lancer une alerte. Vous ne pouvez pas être licencié ni personne ne vous reprochera quoi que ce soit. Ce qui fait que beaucoup de gens aujourd’hui «forwardent» un email, photocopient des docs pour des journaux qui servent à ça.
Ça va dans l’air du temps, comme avec la levée du secret bancaire…
Tout à fait ! C’est la dictature de la transparence. Les gens crient au secret des affaires. L’autre sens est à jamais interdit maintenant. Par conséquent, les entreprises doivent restaurer la confiance en créant de l’exemplarité.
Je vous pose autrement la question concernant le management. Les entreprises disposent de directeurs de marketing, commercial et communication et pas encore de celui de la «réputation»…
Il y aujourd’hui aux Etats-Unis des brand officers, réputation officer… qui sont en charge de la protection de la réputation. Mais la seule façon qu’il faut faire dans une entreprise c’est de mettre les choses à plat et se poser des questions. Où est-ce qu’on a raté ? Qu’est-ce qu’il faut faire ? Après, il faut le dire aux gens et surtout faire ce qu’on dit. L’exemplarité et de communiquer. Eviter le déni.
Pourquoi, selon vous, les entreprises tardent à mettre en place un canal de communication ? On s’intéresse plus à la vente, au marketing, au volet commercial qu’à l’aspect communication…
Ça c’est un super classique. Quand il y a une crise, le premier réflexe est le déni. «Je ne comprends pas et je ne veux pas savoir qu’il y a une crise.» Tout cela arrive parce qu’il n’y jamais un plan de prévention. Genre qu’est-ce qu’on fait si… quand on n’aime pas faire des plans de prévention ou de crise – parce que ça coûte du temps et de l’argent – on tombe d’abord dans le déni. Dans cette période de déni on ne parle pas. On s’agite en essayant de noyer le poisson. Après, il y a d’autre réactions : la réaction du bouc émissaire, chercher celui qui va porter le chapeau tout en perdant encore du temps. Le troisième phénomène c’est celui de la patate chaude. Chacun la file à son voisin par manque de plan de crise. On ne sait pas qui doit gérer. On n’a pas un process et on ne veut pas déranger le patron. Tout cela fait qu’on perd du temps qui risque de se transformer en avalanche médiatique. Tout cela est au départ une mauvaise évaluation.
Un twitt peut être retwitté 150 fois, peut passer sur facebook, passe aux médias… tout cela s’étudie dans un plan de prévention.
Vous dites, lors d’un entretien qu’il existe aujourd’hui une multitude de logiciels et d’algorithmes permettant de guetter ce qui se dit sur la toile… seriez-vous pour l’utilisation de ces «robots» pour travailler la e-réputation ?
La réputation est aujourd’hui complètement sur internet. Avant, on dit les choses par cible. Aujourd’hui les emails sont sur internet. C’est fini, l’information ciblée. Il faut aujourd’hui aligner l’information. Ce que dit le directeur de marketing à ses clients doit être la même chose avec ce que dit le directeur de Com aux médias au manager, aux autorités ou l’employé dans la queue de la boulangerie. Et la queue de la boulangerie est aujourd’hui Facebook. Il faut avoir un community manager et il ne doit pas être n’importe qui, mais un vrai professionnel. C’est lui qui reçoit tout dans la gueule.
Il faut surveiller. Nous avons pour cela un logiciel de surveillance. La plupart des logiciels surveillent Twitter. Mais ça ne suffit pas. Il faut l’humain derrière qui traite le twitt d’après son auteur. Il faut, en temps de paix, un minimum, un site, un Facebook, un compte Twitter… Il y a toujours des choses à raconter. Moins on sait qui vous êtes et plus vous êtes exposé. Il faut chercher aussi une plateforme neutre.
Qu’est-ce que le droit à l’oubli ?
Une loi européenne. Des gens qui ont payé leur dette mais Google ne supprime pas leur nom du Web. Le droit à l’oubli est une loi qui oblige Google à enlever des URL dans certains cas. Google a été obligé de mettre en place un formulaire pour demander la suppression de vos articles. Ce qui se passe c’est que vous allez envoyer ça dans une espèce de trou noir. Dans la majorité des cas, Google va laisser l’URL.
Nous avons, avec des amis, créé le site Forget me, un site de professionnels qui savent parler à Google pour enlever les URL. En tout cas, avec eux, ça a beaucoup de chance d’y arriver. Ils font des statistiques et tentent de comprendre pourquoi Google supprime ou pas.
C’est Google qui est aujourd’hui le dictateur du monde alors ?
Non, car c’est l’humain qui écrit. Qui poste. Les journalistes qui mettent des articles. Google informe et ne crée pas de contenu ! Il ne faut pas se tromper de combat.
Qu’est-ce que l’Afnor ?
L’Agence française de normalisation. On fait des normes qui deviennent des ISO. L’Afnor a voulu faire une norme NF sur les avis en ligne. Nous avons travaillé avec des grandes marques comme Décathlon, GRDF, Orange, les banques… avec aussi tous les syndicats hôteliers et restaurateurs car ce sont eux qui sont les premiers affectés par les faux avis. Il existe maintenant une norme NF sur les avis en ligne et nous avons porté cette norme à l’international et elle va devenir un ISO. J’ai repris la présidence sur l’e-réputation pour la normaliser, ce n’était pas possible.
S. M.