En ces jours de commémoration des essais nucléaires de Reggane, commis par l’occupant colonial en 1960, la question de la reconnaissance par la France de ce crime contre l’humanité se pose toujours. Tout comme celles de l’indemnisation et de la décontamination des espaces pollués par les explosions nucléaires qui ont traumatisé les autochtones en infligeant un désastre à l’environnement qui mérite réparation morale et matérielle.
Cynisme ou tradition militaire française, les opérations les plus meurtrières portent des noms innocents presque poétiques. L’essai nucléaire perpétré en Algérie par la puissance coloniale, quelques mois avant la fin de la Guerre de Libération, portait le nom de code «Gerboise bleue» du nom de ce rongeur qui vit dans les conditions difficiles du désert.
Hiroshima x 4
Le 13 février 1960, vers 7 heures du matin, l’horrible champignon nucléaire a meurtri plusieurs générations de la population locale en même temps qu’il a irradié une vaste étendue de terre libérée par les glorieux Martyrs et moudjahidine. Beaucoup d’Algériens l’ignorent mais cette bombe qui a été mise en action dans le cadre du programme de dissuasion militaire français sous l’autorité du Général De Gaulle, était quatre fois plus forte que la bombe d’Hiroshima larguée par les Américains au Japon le 6 Août 1945. 70 kilotones qui ont provoqué des brûlures aux autochtones sur un rayon de plus de 200 km alors que des habitations étaient situées à moins de 100 Km du lieu de l’explosion. Le nuage nucléaire s’étant ensuite déplacé jusqu’aux pays voisins avec les retombée radioactives impossibles à mesurer. Depuis, de très nombreux cas de maladies, cancers ou de malformations ont été constatées par des équipes médicales spécialisées en Algérie. Des expertises ont aussi prouvé que de nombreux sites sont toujours contaminés plus de 60 ans après. Crime contre l’humanité, massacre contre l’environnement.
Loi Morin insuffisante
Mais cette triste réalité n’a pas suffi à convaincre la France d’aujourd’hui à faire son mea culpa ni à procéder aux indemnisations en conséquence comme l’a dénoncé l’historien Fouad Soufi. «Les conséquences des essais nucléaires sur la vie et la santé de la population algérienne du Sud continuent de poser le problème de la reconnaissance de la France quant à sa responsabilité dans un événement aussi tragique.» Un questionnement légitime puisque Paris a traité différemment la problématique en ce qui concerne la Polynésie française : «Une politique de deux poids, deux mesures de la France vis-à-vis de l’Algérie et de la Polynésie française s’agissant de la question nucléaire, dont elle a consenti à reconnaître la responsabilité pour le dernier (…) la loi Morin, relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des explosions nucléaires françaises ne concerne pas les Algériens dès lors qu’il s’agit d’une loi française conçue pour les Français. » Un point de vue partagé par Tony Fortin, chargé d’études à l’Observatoire des armements en France dont les propos ont été recueillis par l’APS. «Cette loi permet aux personnes reconnues comme victimes de percevoir une indemnisation compensatrice. Au bout de 10 ans de mise en œuvre, nous observons qu’une seule personne résidant en Algérie a pu en bénéficier, ce qui est incompréhensible et ne correspond en rien à la réalité.» Ce chercheur a aussi expliqué la complexité de la procédure imposée par les textes de loi français pour pouvoir prétendre à une reconnaissance et une indemnisation. «Pour en bénéficier, il faut répondre à des critères déterminés, notamment être dans une zone déterminée, et ceci durant la période des essais, et avoir une des 23 maladies listées par décret.» Or, Tony Fortin considère que «décision prise par l’Algérie de créer l’Agence de réhabilitation des anciens sites des explosions nucléaires dans le Sud algérien en juin 2021. » pourrait aider à mettre la France devant ses responsabilités. Par ailleurs, l’expert algérien en énergie atomique, Merzak Remki, a déclaré que «L’assistance de la France pour déterminer la matière nucléaire issue de ces explosions réalisées par l’armée coloniale à Reggane et In Ikker entre 1960 et 1967, est primordiale » quitte à faire référence au Traité de TIAN, le Traité d’interdiction des armes nucléaires dont les articles «articles 6 et 7 – considérés comme des obligations positives» peuvent être invoqués en faveur du traitement de la question des sites des explosions nucléaires français effectuées à Reggane et In Ekker. Enfin, la ratification de ce traité permettrait aussi à l’Algérie d’obtenir une assistance d’organismes onusiens dans le traitement, l’évaluation de la situation et les solutions à apporter. Une aide qui permettra de mettre l’Etat français au pied du mur. Puisque la réconciliation entre les deux peuples passe aussi par la réparation morale et matérielle.
Nordine Mzala