Un mois après avoir provoqué par ses propos hostiles à la guerre au Yémen une crise diplomatique avec les monarchies du Golfe, le ministre libanais de l’Information Georges Cordahi a annoncé vendredi sa démission. L’intérêt du Liban et des Libanais passe avant toute chose, notamment mes intérêts personnels, a déclaré en substance M. Cordahi lors d’une conférence de presse au ministère de l’Information, pour expliquer les raisons qui ont motivé cette décision, qu’il avait jusque là écartée.
Le ministre, ancien animateur-vedette, a confirmé qu’il présente sa démission “à la lumière de nouveaux développements”, suite à une demande en ce sens exprimée par la France, alors que le président français Emmanuel Macron, se trouve actuellement en tournée dans le Golfe et s’est entretenu en journée avec le prince héritier des Emirats, Mohammad ben Zayed. M. Macron a affirmé à cette occasion espérer des progrès dans les prochaines heures sur le Liban. La démission de M. Cordahi vient ainsi à point nommé pour fournir des arguments au président français afin d’inciter son interlocuteur saoudien à mettre un bémol à sa politique punitive à l’égard du Liban.
“Entamer le dialogue” avec Riyad
M. Cordahi a indiqué avoir “compris” cette demande française lors d’une réunion il y a trois jours avec le Premier ministre Nagib Mikati. “Les Français voulaient que je démissionne avant la visite de M. Macron en Arabie, étant donné que cela peut aider à entamer le dialogue avec les responsables saoudiens”, a-t-il ajouté. Il a alors discuté de cette éventualité avec Sleimane Frangié, chef des Marada, courant politique à l’origine de sa nomination en tant que ministre, et ses alliés, à qui il a laissé “la liberté de prendre position de la manière la plus appropriée”. Selon lui, sa démission vient “suite à des pressions importantes” et parce que “l’intérêt du Liban et des Libanais prime sur ses intérêts personnels”.
Le ministre a encore rappelé que, si ses propos, prononcés un mois avant sa prise de fonction, n’engageaient en aucun cas le gouvernement et ne visaient pas à porter atteinte aux relations avec les pays du Golfe, il s’était retrouvé “importuné par les mesures de boycott” prises envers le Liban et par le fait que cette affaire avait “provoqué la panique parmi les émigrés libanais dans le Golfe”. Il a souligné s’être retrouvé pris entre deux feux, entre les personnes “réclamant constamment” sa démission qui était, selon eux, “dans l’intérêt du Liban”, et d’autres qui l’appelaient à ne pas quitter ses fonctions “parce qu’ils considéraient que cela porterait atteinte à la dignité nationale”.
Un responsable au sein de la présidence libanaise a indiqué à l’AFP que le président Michel Aoun avait reçu, dès jeudi soir, un appel de la part du ministre pour confirmer sa démission.
A 16h, l’ancien animateur télé a remis au Premier ministre sa lettre de démission et a quitté le Sérail sans s’exprimer devant la presse. Nagib Mikati a nommé le ministre de l’Education, Abbas Halabi, comme ministre de l’Information par intérim.
Plus tôt, M. Mikati avait réitéré, dans un entretien dans la presse, que le Liban est “prêt à effacer toutes les impuretés” dans les relations avec les pays du Golfe et souhaite “conserver les meilleures relations avec eux, parce que notre pays se sent en sécurité lorsque son grand frère se tient à ses côtés”.
Fin octobre, des propos de Georges Cordahi, qui avaient été prononcés et enregistrés avant qu’il ne devienne ministre, avaient fait polémique. Dans une émission télévisée, il critiquait le rôle de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite dans le conflit au Yémen et prenait ouvertement la défense des rebelles houthis, soutenus par l’Iran, bête noire de Riyad. Suite à ces déclarations, le royaume wahhabite, rapidement suivi par le Bahreïn, les Emirats arabes unis et le Koweït, avait décidé de rompre les relations diplomatiques avec le Liban. L’Arabie en avait également interdit toutes les importations.
Depuis, plusieurs responsables politiques, dont Nagib Mikati, appelaient M. Cordahi à démissionner, ce que ce dernier avait jusqu’à présent toujours refusé. Il pouvait bénéficier dans son refus du soutien des Marada, courant qui avait proposé son nom comme ministrable, et du Hezbollah. Ce bras de fer était venu alourdir encore plus la crise gouvernementale, le cabinet Mikati ne s’étant plus réuni depuis le 12 octobre sur fond de tensions autour de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth an août de l’année dernière.
Après l’annonce de M. Cordahi, la livre libanaise en chute libre a regagné une partie de sa valeur par rapport au dollar, après avoir atteint un plus bas historique la semaine dernière. Il n’y a cependant aucune garantie immédiate que la démission améliorerait les relations du Liban avec les États du Golfe, devenues de plus en plus tendues ces dernières années en raison de l’influence croissante du Hezbollah.
Dans des déclarations à la presse, le chef de la diplomatie saoudienne avait à plusieurs reprises souligné que la crise n’avait pas été provoquée par les seuls propos de Georges Cordahi mais avaient en toile de fond la mainmise toujours plus importante du Hezbollah sur la politique libanaise.
Assia.M