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Djamal Rebbach, un assoiffé d’apprentissage (ENTRETIEN )

« J’ai toujours voulu apprendre ! » C’est la phrase qui revenait souvent dans l’entretien qu’a accordé au journal cet homme de soixante sept ans qui vient de terminer l’écriture de deux tomes sur la présence ottomane en Algérie, de 1516 à la colonisation française, soit près de trois siècles de « cohabitation ». Deux autres livres sont en cours.

Comment vous est venue l’idée d’écrire ?

Mon envie d’écrire ne date pas d’aujourd’hui. J’ai déjà des manuscrits, notamment sur la langue anglaise avec un dictionnaire d’images en trois volumes, un autre sur la phonétique de l’anglais et une réflexion sur la personnalité religieuse du Prophète (QSSSL). Il a fallu un concours de circonstances avec l’ami Redouane (l’éditeur Malek Redouane, des éditions ac.com) qui joua le rôle de catalyseur en promettant de me faire éditer à la condition de penser un livre sur Blida…

Blida vaut bien un livre…

Oui, c’est sûr et j’ai déjà plus d’une centaine de pages sur cette ville mais les sources manquent et il ne se trouve que l’ouvrage de Trumelet comme référence.

Et sur la présence ottomane en Algérie ?

A force de piocher, j’ai trouvé des sources sur la Régence d’Alger et c’est un plaisir, il faut en convenir, d’écrire sur Alger. Il y a aussi cette ambiance de dépit depuis quelques années à la suite des attaques frontales contre le pays. La France nous avilit, nous rabaisse et n’hésite pas à dire qu’elle nous a avancé de 1.000 ans alors que les livres sont là pour démentir. Vous devez sûrement connaître Bernard Lugan, cet extrémiste de droite à la solde du royaume marocain auquel il vend une image négative de l’Algérie à travers des publications, des passages sur les chaines marocaines sont assurées afin de rabaisser l’Algérie jusqu’à dire que le pays n’existait pas avant son organisation par la France et que la Régence n’était qu’un ramassis de pirates, de voyous des mers.

C’est grave …

Bien sûr que c’est grave et je me demande où sont nos historiens, nos universités, nos médias pour apporter le contrepoids. Il fallait que je réagisse en répondant au travers de ces volumes où j’explique l’organisation administrative de l’Algérie du temps des Ottomans. J’ai écrit donc pour répondre et j’y ai trouvé ma vocation. Des traités sont signés du temps de la régence entre l’Algérie et l’Espagne, entre l’Algérie et la Hollande, et d’autres pays encore. Les puissances de l’époque respectaient l’Algérie.

Vos études d’anglais ne vous y destinaient pas pourtant.

(rires) Attention, il y avait la civilisation américaine dans le cursus universitaire d’une licence d’anglais et je m’intéressais beaucoup aux peuples d’Amérique, à l’extermination des Indiens, au trafic des peuples d’Afrique noire et que les Européens ramenaient comme esclaves pour développer les USA.

 Il y avait la musique également.

Oui, l’artiste a beaucoup d’empathie envers ces peuples ! Paul Mcrtney avec sa chanson « Black bird » chante les droits civiques. Je voulais faire une post-graduation sur ce thème mais les circonstances en ont voulu autrement. Je n’oublie pas que l’occupation de l’Algérie par la France, l’exploitation à outrance des ressources, l’avilissement des populations locales ne s’oublient pas. Encore une fois, où sont nos thésards en histoire, où sont les profs d’universités qui détiennent les chaires d’histoire ?

Et que pensez-vous du rapport remis par Benjamin Stora à Macron ?

C’est une commande d’un gouvernement, d’un politicien à un auteur spécialisé sur le sujet « Algérie » et qui a vite fait de le lui remettre. Qu’est-ce que cela veut dire ? Devrons-nous avaler cette grosse couleuvre ? Encore une ? On ne doit pas écrire l’Histoire sur commande ! Nous avons nos propres chercheurs et nous nous devons de présenter notre travail, nos travaux et qui seront confrontés les uns aux autres afin de faire ressortir ce qui pourrait se dire la Vérité. La vérité absolue n’exista pas et je n’ai pas essayé de cacher des vérités dans mes ouvrages. Les citations de Sully au volume un et Kennedy au volume deux sont révélateurs de l’esprit que je voudrais inculquer à ce que je crois et ce que j’écris. Je n’ai pas de parti pris, notamment lorsqu’on pense aux ethnies locales qui existaient avant l’arrivée des Ottomans et avant celle des Français.

Revenons à votre propre recherche sur la présence ottomane en Algérie.

J’ai accumulé au fil du temps des lectures et classé toutes les publications qui me tombaient sous la main au travers de recherches personnelles. Je devais partir en Andalousie et me pencher sur la déchéance du monde musulman à une certaine époque. Nous fûmes au firmament de la science et de la recherche au moment où l’Europe subissait ce qui est appelé par et pour eux de Moyen-âge. Que s’est-il passé ? Qui fut à l’origine de cette descente aux enfers ? J’ai mon idée là-dessus et un livre l’expliquera bientôt…

Ottomans, Arabes, Berbères : comment vous avez situé la relation entre eux ?

Le sang ottoman durant pratiquement les trois siècles ne devait pas se mélanger avec le sang algérien. Les Janissaires avaient combattu les Couloughlis et rares sont les soldats parmi ces derniers qui avaient occupé des grades supérieurs.

Cela va renforcer donc l’idée que c’était une occupation turque ?

J’explique l’organisation administrative, militaire, la marine algérienne, notamment dans le tome 1 afin de montrer que l’Algérie avait fait appel à la Grande Porte afin d’apporter aide et assistance à l’Algérie devant l’invasion espagnole. J’aimerais bien que, après lecture des livres, trouver l’occasion de confrontations, pour le bien de l’Histoire, pour le bien du pays, pour la Vérité. « La nature a horreur du vide » et j’ai tenté de combler un grand vide.

Quel a été votre rythme de travail pour arriver à ces deux volumes aujourd’hui publiés ?

Pendant près de dix mois, je me réveillais très tôt et j’entamais mon travail à partir de 6h pour ne m’arrêter qu’à 13h. C’était un rythme assidu et je m’y pliais mais ce n’est pas venu comme ça, fortuitement. Je possède des archives en PDF de centaines de livres, d’articles et les tomes 3 et 4 sont pratiquement prêts et qui vont nous mener jusqu’à l’invasion de l’Algérie par les Français.

Beaucoup de notes de bas de pages, plus de deux cents pour chaque volume, démontrent votre souci de la précision…

Bien sûr, il fallait noter tout ce qui pouvait apporter davantage de précisions à un lecteur curieux de connaître l’Histoire dans ses moindres recoins.

Et ces noms de bateaux, d’embarcations, …

(sourires) J’aime apprendre et je me fais mienne cette sentence : « J’apprends donc je suis » pour paraphraser Descartes avec le cogito : « Je pense, donc je suis ». Découvrir, apprendre pour se sentir vivre ! J’éprouve beaucoup de plaisir à assimiler de la connaissance et je reviens à Bernard Lugan, cet Africaniste qui se vante d’apporter de la connaissance historique sur notre région alors qu’il ne fait que servir le Makhzen en niant toute présence algérienne par le passé et affirmant que la France a permis à notre pays d’avancer de 1.000 ans. » Non, nous ne pouvons point permettre ces graves accusations et les combattre à travers les médias.

L’Histoire de Blida, cette ville où vous êtes né.

J’aime beaucoup ma ville et je mets un point d’honneur à poursuivre mes recherches pour publier un livre sur Blida et provoquer, pourquoi pas, cette émulation qui manque tant.

(Entretien réalisé par Abdelkrim MEKFOULDJI)

 

 

Rédaction Crésus

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