Entretien

Boumessaoud Abdelghani, s/directeur de la protection du patrimoine Forestier à Crésus : «85 % des incendies sont d’origine inconnue»

Dans cet entretien, Boumessaoud Abdelghani, responsable au niveau de la direction générale
des forêts a estimé que le bilan de cette année est « nettement meilleur que celui de l’année précédente». Il a par ailleurs mis l’accent sur l’importance des moyens mis à leur disposition, pour lutter contre les incendies de forêt, moyens qu’il qualifie «d’important mais encore insuffisants»

Entretien réalisé par Samia Acher

Crésus : Par rapport à l’exercice précédent, qu’en est-il, à l’heure actuelle, de la situation globale concernant l’état du patrimoine forestier ?
Boumessaoud Abdelghani : depuis le début de la campagne de prévention et de lutte contre les feux de forêts, la situation enregistrée au 30/06/2021, fait ressortir une superficie parcourue par le feu, estimée à 499,48 hectares, objet de 146 foyers d’incendies. cette superficie a été enregistrée au niveau de 28 wilayas dont les plus affectées sont sétif (98,50 ha), bejaia (75,50 ha), tébessa (53,75 ha), bouira (50,27 ha), khenchela (45,21 ha), saida (38 ha) et tizi-ouzou (29,83 ha). ces wilayas totalisent à elles seules 391,06 ha, soit 78% du total national. Comparativement à la situation des feux de forêts à la même période, le bilan de cette année est nettement meilleur que celui de l’an passé. en juin 2020, la surface parcourue par les feux était de 882,33 ha pour un nombre total d’incendies de 268 foyers. mais cela ne signifie nullement, qu’il s’agit d’une saison clémente.

Qu’est ce qui changé dans la nouvelle stratégie de lutte contre les feux de forêt ?
En plus du renforcement des moyens de lutte au profit de la dgF et de la dgpc, et compte tenu, des actes criminels enregistrés durant la précédente campagne, qui ont été marqués la perte des milliers d’hectares de patrimoine forestier, le gouvernement algérien a mis en place dès le début de la campagne une cellule de veille et de suivi au niveau du ministère de l’intérieur, des collectivités Locales et de l’Aménagement du territoire, en impliquant cette fois-ci à l’échelle des wilayas tous les secteurs concernés par le dispositif de prévention et de lutte contre les incendies de forêts sous la conduite et la responsabilité des walis.

En votre qualité d’expert, est ce que les moyens matériels et humains mis à disposition du secteur suffisent-ils à faire face à ce phénomène récurent ?
L’administration des forêts agit essentiellement sur la première intervention qui joue un rôle vital empêchant toute propagation de feu de forêts. dans ce contexte, le dispositif mis en place par l’administration des forêts, s’est avéré très utile eu égard au nombre d’incendies maîtrisés rapidement. il demeure, cependant, insuffisant devant l’ampleur des foyers d’incendies, l’étendue des territoires d’intervention et la nature prononcée du relief. en effet, le nombre de brigades disponibles est de 478 brigades mobiles pour les 4,1 millions d’ha, soit 8 500 ha
pour une brigade mobile, or, pour faire face aux contraintes sus évoquées, il faut une brigade mobile de première intervention pour 5 000 ha. Le déficit actuel est de 342 brigades mobiles. La première intervention doit être confortée eu égard à son importance et son rôle décisif pour circonscrire un maximum de foyers avant leur propagation sur des espaces importants. concernant les effectifs pour la surveillance et la lutte contre les feux de forêts. L’administration des forêts dispose d’un effectif de 5200 agents tous corps confondus. cet effectif actuellement mobilisé est jugé très insuffisant et en deçà des normes adoptées par rapport à l’étendue du territoire couvert, soit un (01) forestier pour 780 ha, or l’idéal est d’avoir un forestier pour 500
ha, soit un déficit de 3000 forestiers à combler.

Qu’en est t-il de l’acquisition ou la location des bombardiers d’eau? Ont-ils été réceptionnés officiellement ou pas encore ?
L’acquisition et la location les moyens aériens de lutte contre les feux de forêts, n’est pas du ressort de l’administration des forêts, qui a à sa charge, uniquement la surveillance et la première intervention, les moyens lourds de lutte terrestres ou aériens concerne plutôt la direction générale de la protection civile.
L’acquisition d’hélicoptères ou de bombardiers dans la lutte contre les feux de forêts, reste la meilleure et plus efficace des solutions, surtout pour un pays comme l’Algérie dont les massifs forestiers se trouvent en grande partie dans les zones à relief très accidenté non accessibles aux moyens roulants.

Un des moyens les plus efficaces pour lutter contre les feux de forêt réside essentiellement dans la coordination des différents services concernés. Qu’en est-il exactement ?
A l’exception de la présence permanente des éléments des conservations des forêts et des unités de la protection civile, certains membres des commissions de wilaya, des comités opérationnels de wilaya, de daïra et de communes), n’assument pas pleinement leur rôle, tel que prévu par les textes réglementaires en vigueur, notamment en ce qui concerne les actions de prévention tels que le désherbage des accotements de routes, le débroussaillement à la périphérie des zones habitées, l’éradication de décharges non contrôlées et sauvages qui constituent une source de départ de feux.

On a l’impression que chaque année, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Qu’avez-vous à dire à ce propos ?
Sur la période 2000-2020, 85 % des départs d’incendies sont d’origine inconnue. Les statistiques officielles cachent la réalité du terrain où les intervenants de la première intervention ou de la lutte contre les incendies disposent généralement de témoignages ou d’indices permettant d’identifier les origines des
incendies. cette origine supposée des causes ne fait rarement l’objet de constatations argumentées et officielles. La recherche des causes d’incendie est une mission qui revient généralement à des équipes pluridisciplinaires composées d’un forestier, d’un gendarme et d’un sapeur-pompier. cependant, selon les circonstances, les incendies peuvent être des crimes, répréhensibles par la justice (article 396 du code pénal), et donc nécessitant une véritable enquête judiciaire. L’enquête doit être menée par des officiers de police judiciaire de la gendarmerie nationale et les auteurs de ces infractions doivent être sévèrement punis car il s’agit de la destruction d’un bien public de l’Etat. par ailleurs, le manque de connaissance des origines des incendies ne permet pas de construire des campagnes de sensibilisation adaptée au public cible qui est à l’origine des feux dus à la négligence (brûlage des rémanents, brûlage pastoral, allumage de barbecue, incinération d’ordures,…, et à l’imprudence (étincelles provenant des travaux mécaniques, rupture de câbles électriques, soudure,…).
L’opinion publique en général estime que les sanctions prises à l’encontre de pyromanes ne sont pas suffisamment dissuasives. Que prévoit le nouveau dispositif ?
D’abord, la pyromanie est une maladie, elle n’est pas considérée comme acte volontaire de destruction contrairement à l’incendiaire. Les pyromanes, ont une obsession d’allumer et de contempler le feu, mais aucun intérêt de dégrafions en tête pour tirer profit. ce qui est sûr c’est que les peines prévues dans le code pénal sont très sévères reste que la décision finale des sanctions revient aux représentant du ministère public.
S .A

Rédaction Crésus

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