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SEM l’ambassadeur de Pologne à Crésus «L’évolution de l’Algérie m’a beaucoup impressionné»

Son Excellence Monsieur l’ambassadeur de Pologne en Algérie, Witold Spirydowicz, est à sa cinquième année en poste en Algérie. Il nous livre dans cet entretien sa vision des relations bilatérales entre l’Algérie et la Pologne et leur évolution avec la nouvelle conjoncture économique.

Entretien réalisé le 08/04/2021 par Sarra Chaoui

Crésus : Comment se portent les relations bilatérales algéro-polonaises et qu’espérez-vous comme évolution ?

Witold Spirydowicz: La Pologne était parmi les premiers pays à reconnaître l’indépendance de l’Algérie, dès 1962. Depuis, les relations diplomatiques n’ont jamais cessé. A l’époque où la Pologne était dans le bloc des pays socialistes, les relations étaient plus intensives dans certains domaines par exemple les échanges des étudiants et il y avait une présence massive des coopérants polonais ici en Algérie, des ingénieurs, médecins et enseignants entre autres. Quand le système en Pologne a changé, ces formes de coopérations ont quelque peu cessé. Néanmoins, les relations politiques étaient et sont toujours très bonnes. Nous considérons l’Algérie comme un partenaire d’une importance majeure sur le continent Africain. L’Algérie est très importante pour assurer la stabilité dans la région de l’Afrique du Nord et du Sahel. Nos relations sont donc, je peux le dire, excellentes.

En 2017, il y a eu une visite de notre ministre des affaires étrangères chez son homologue algérien et un accord a été signé pour établir la commission mixte dont nous avions prévu la première session pour 2018. Il y a une certaine crise politique en Algérie, le hirak et d’autres circonstances qui ont fait que les travaux n’ont pas pu être entamés. On a donc reporté cela à l’année passée, après la stabilisation politique, quand le nouveau président a été élu… mais la pandémie du Coronavirus est hélas apparue. Donc ni la session de la commission mixte n’a pu être réalisée, ni la visite de notre vice-ministre des affaires étrangères pour les consultations politiques n’a pu avoir lieu. Sincèrement, je pense que l’année passée a été une année perdue en ce qui concerne nos contacts bilatéraux. On espérait beaucoup pour cette année mais même si en Algérie la situation sanitaire est stable grâce à Dieu, ce n’est pas le cas de l’Europe qui est dramatiquement touchée par une troisième vague de la pandémie. En Pologne, nous enregistrons quelques 20 000 cas par jour, donc la situation est vraiment dramatique et cela malgré la campagne de vaccination accélérée. Toutes les visites programmées pour cette année sont, pour le moment, gelées.

Vous évoquez sur votre site internet une volonté de partager votre expérience dans le processus de transformation économique et politique…

Oui, nous avons commencé à partager notre savoir-faire dans ce domaine, en organisant à Alger en juin 2019 une conférence avec le think tank Care sur la transformation économique dans les pays de l’Europe centrale en coopération avec les ambassades tchèque et hongroise. Beaucoup d’entrepreneurs et d’hommes politiques ont été invités. L’évènement s’est déroulé avec succès et nous avons invité les experts de nos pays respectifs pour parler de ces transformations au vu de la volonté algérienne de se transformer également.

La Pologne était désireuse d’importer du pétrole et gaz liquéfié algériens. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Nous avons en commun un problème d’une certaine dépendance. L’économie de l’Algérie est dépendante du pétrole et la notre du charbon. Comme vous le savez, l’Europe a opté pour une politique verte, en vue de protéger le climat. La Pologne est aussi soumise à cette nouvelle réglementation et d’ici 30-40 ans nous devons fermer toutes nos mines de charbon et construire notre nouvelle politique énergétique. Nous devons nous approvisionner en gaz liquide. Pour le moment, il y a des livraisons de gaz de la Russie par pipeline. Le gaz liquide vient du Qatar et j’ai postulé d’envisager l’Algérie comme fournisseur potentiel de gaz liquide car nous avons un grand gazoport construit qui pourrait aussi être utile pour les autres pays de l’Europe centrale donc pourquoi pas s’approvisionner en Algérie avec le gaz liquide. D’ailleurs j’ai abordé ces sujets quelques fois avec le ministre de l’Energie.

A ce propos il y a une ligne maritime qui a été créée entre l’Algérie et la Pologne…

Cette ligne a été lancée en décembre 2018, j’ai même, avec le directeur de cette ligne, parlé de ce projet. Jusqu’à présent, d’après ce que je sais, après cet échange avec le directeur, il ressort que les bateaux algériens fournissent l’Algérie en lait en poudre provenant de Pologne. Parce que nous sommes actuellement 2ème ou 3ème fournisseur de lait en poudre pour le marché algérien. Les bateaux viennent vides chez nous et repartent remplis avec des conteneurs de lait en poudre pour l’Algérie. Économiquement parlant, c’est un peu inégal en termes de balance économique. On pourrait penser alors à remplir ces bateaux avec des produits algériens notamment agricoles. Pour que la ligne soit utilisée plus efficacement. Vous avez de l’huile d’olives, des agrumes, des dattes. Ce sont des produits qui pourront être bien appréciés en Pologne. Afin de diversifier l’offre.

L’Algérie importe notamment les kits de montage auto CKD/SKD. Le nouveau cahier des charges exige un taux d’intégration plus important. Vous ne pensez pas que cela va changer la donne ?

Oui, c’était un segment très important de nos exportations vers l’Algérie parce que nous collaborons avec le groupe Volkswagen. On a fourni beaucoup de pièces à ce constructeur automobile, mais actuellement le marché algérien est un peu perturbé parce qu’il n’y a pas de régulation stable concernant les importations de ces kits. Cela a affecté un peu les volumes de nos échanges. C’est vraiment un sujet assez complexe parce que je ne sais pas si le pourcentage prévu par les partenaires algériens est vraiment concrétisable actuellement. Il faut être réaliste, à mon avis il est actuellement trop ambitieux. C’est mon opinion personnelle et elle est partagée par les autres collègues. On souhaite beaucoup de succès aux Algériens mais je ne suis pas convaincu de la faisabilité de cette entreprise.

Question culture, vous avez beaucoup été actif ces derniers temps avec la ministre de la culture, Malika Bendouda.  Que prévoyez-vous comme partenariat ?

D’abord nous avons discuté du dévoilement d’une fresque murale au niveau de l’école des Beaux-arts d’Alger qui eu lieu le 29 mars. Nous avons discuté également d’une exposition programmée au mois de juin sur des affiches polonaises. Une exposition similaire avait déjà été organisée durant les années 70, d’après le Pr de l’école des Beaux-arts, c’était un grand succès. On voudrait bien rééditer  cet événement. Madame la ministre a abordé la possibilité d’apporter notre aide pour créer un département de la bande dessinée. Parce que la BD a une présence et une histoire très forte en Pologne. Au niveau de l’ambassade, nous avons réalisé quelques bandes dessinées avec des jeunes artistes algériens. Nous avons organisé une compétition au terme de laquelle une bande dessinée a été publiée par nos soins. Madame la ministre a donc voulu créer un département de la bande dessinée au sein de l’école des Beaux-arts d’Alger. Nous avons également discuté d’un autre projet de l’ambassade, c’est-à-dire un livre sur un poète polonais du 19ème siècle qui a publié un poème hommage à l’Emir Abdelkader. Nous sommes en train de préparer cette édition avec la traduction de ces poèmes en langue française et arabe et revenir sur l’histoire des contacts entre le poète polonais en question et l’émir Abdelkader. Madame la ministre a d’ailleurs proposé de rédiger l’avant-propos de ce livre.

Le point le plus important de nos rencontres est le projet de l’accord culturel entre la Pologne et l’Algérie. En nous adaptant aux nouvelles mesures sanitaires, la partie algérienne a proposé un projet d’un accord qui pourra encore être discuté et éventuellement signé à l’avenir.

Une coopération dans le domaine universitaire est-elle prévue ?

Justement, la question des bourses est très importante et maintenant il y a une offre concernant les études en Pologne. Vous pouvez la consulter sur notre page Facebook, on y publie les détails. Le problème en ce qui concerne l’Algérie c’est surtout la langue parce que jusqu’à présent c’est la langue française qui est dominante. Je sais qu’il y a une volonté d’introduire maintenant l’anglais mais l’offre polonaise concerne presque exclusivement les études en langue anglaise. C’est un frein aux possibilités d’accueil de plus d’étudiants algériens. Mais je dois dire qu’en ce qui concerne le programme Erasmus+, la Pologne est la 4ème destination européenne choisie par les Algériens.

Un mot pour conclure ?

Je suis en Algérie depuis 5 ans déjà.  On peut dire que je fais partie des dinosaures des ambassadeurs européens en Algérie. J’ai donc pu observer cette évolution de l’Algérie qui m’a beaucoup impressionné, surtout avec la naissance du mouvement du hirak et suite au civisme dont ont fait preuve les manifestants. Ni violence ni casse ni incidents graves n’ont été reportés. Si l’on compare cela avec les manifestations de ce genre dans les autres pays, pas seulement africains mais aussi européens, c’est vraiment impressionnant. Notamment de par la discipline des manifestants, ce pacifisme et cette volonté qui les animent pour faire évoluer le pays en suivant la voie pacifique. Ça m’a fait penser à notre mouvement polonais « Solidarité » qui été aussi basé sur la non-violence. C’était l’expérience la plus importante que j’ai vécue en Algérie.

S.C

Nadir K

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