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SEM l’ambassadrice de la Tchéquie à Crésus «Nous sommes là pour partager notre savoir-faire»

Son Excellence Madame l’ambassadrice de la Tchéquie, Lenka Pokorná nous fait part dans cet entretien de sa volonté à partager le savoir-faire et les expériences tchèques avec l’Algérie. Elle nous parle de l’édification de son pays et son entrée dans l’union européenne.  

Entretien réalisé par Sarra Chaoui 

Crésus : Le printemps de Prague est inscrit dans l’histoire de l’humanité. Est-ce que le hirak a eu un écho en Europe ?

Lenka Pokorna : De notre point de vue il y a une très grande différence entre l’attention qui a été portée au hirak de la part des différents pays de l’Europe. Evidemment, la France avec laquelle l’Algérie a des liens historiques a suivi beaucoup le mouvement, tandis qu’en Tchéquie, ils ont mis du temps pour le réaliser. Malheureusement, depuis la décennie noire, l’Algérie a un peu disparu des radars de l’Europe centrale.

Les tchèques vont en vacances au Maroc et en Tunisie, mais jamais en Algérie alors que ce sont des pays limitrophes. C’est dommage car il y a vraiment des merveilles en Algérie, le patrimoine de l’empire romain, des monuments locaux, sont d’une beauté à couper le souffle, et hélas ils sont peu connus en Europe centrale.  Donc disons que les Tchèques  ne comprennent pas très bien ce qui se passe en Algérie. Pour eux c’est un pays qu’ils ne connaissent pas, qui est un peu éloigné.

Durant les années 70, il y avait beaucoup de coopérants tchèques en Algérie, mais après la décennie noire, l’Algérie n’a plus été aussi ouverte au tourisme. La décennie noire a beaucoup nuit à l’image de l’Algérie. Je pense qu’il y a un énorme travail à faire pour  présenter de nouveau l’Algérie à l’Europe centrale.

Le hirak n’a pas occupé longtemps les Unes des journaux. Il reste suivi par les spécialistes de la question mais le grand public n’en a pas trop connaissance. Le hirak a très vite a été remplacé par la Covid, donc les gens se sont intéressés à autre chose.

L’avènement du hirak a abouti à l’exigence de l’édification d’une Algérie Nouvelle. Comment est-elle perçue du côté de la Tchéquie ?

Je pense que l’Algérie Nouvelle est une très belle chose. Le hirak a montré à tout le monde que les jeunes, qui sont toujours les premiers quand il y a un mouvement pour le changement, ont une grande volonté de changer les choses.

L’Algérie doit décider de ce qu’elle veut et y arriver toute seule, politiquement. Dans le domaine des changements structuraux qu’il faut faire, la République tchèque peut apporter un savoir-faire énorme. Parce que nous sommes passés par la même chose dans les années 90 et nous avons dû réaliser beaucoup de travail parce que dans le système de l’époque, il y avait une inexistence du secteur privé.

Nous avons dû complètement le changer et ça a couté beaucoup d’erreurs et d’efforts. Quand il y a un changement, il n’y a pas la législation qui suit avec de suite. Il faut écrire les lois et les voter petit à petit pour accompagner et encadrer tout changement.

L’Algérie a l’avantage de l’existence du  secteur privé. La Tchéquie a dû commencer par privatiser tout ce qui était public excepté les domaines sensibles et stratégiques. Petit à petit, tout a été privatisé mais l’Etat restait  actionnaire majoritaire des entreprises stratégiques dans les années 90.

La plus grande réussite  pour nous est illustrée par la voiture mythique tchèque Skoda rachetée grâce à la coopération par Volkswagen.  Plus d’un demi-million de voitures sont exportées vers l’étranger annuellement. Il ne faut pas avoir peur des investissements étranges.

Est-ce que le nouveau code d’investissement encourage les tchèques à investir en Algérie ?

C’est un long travail que nous essayons de réaliser avec mes collègues à l’ambassade car, comme je vous l’ai dit, il faut promouvoir plus l’Algérie en République tchèque. Nous faisons de notre côté ce que nous pouvons mais c’est aussi à l’ambassade d’Algérie à Prague d’y travailler. D’après mes collègues diplomates algériens, l’Algérie est en train de bâtir sa diplomatie économique.

Ça c’est une des choses que nous avons réalisée assez bien en Tchéquie. C’est ce que j’ai déjà proposé au ministère des affaires étrangères. La Tchéquie peut partager son savoir faire, même notre vice-Ministre des Affaires étrangères est prêt à venir le présenter  pour que les Algériens puissent juger si notre système leur plait, s’il pourrait les inspirer ou carrément être adopté.

Parce qu’en tant que pays de taille moyenne dans l’Europe, nous ne pouvons pas apporter des sommes colossales d’argent. Ce que nous pouvons faire, et à mon avis c’est le plus important, c’est apporter notre savoir-faire. Nous sommes passés par les mêmes étapes, ça a été difficile à faire mais c’est faisable et nous pouvons déjà faire éviter à l’Algérie des erreurs inutiles.

Nous ne sommes pas là pour dicter à l’Algérie quelle conduite elle doit avoir, nous sommes là pour présenter notre façon de faire les choses et voir si cela pourrait convenir mais surtout lui éviter de refaire les erreurs que nous avons commises.  Je pense que nous pouvons être utiles dans ce domaine-là en Algérie. Nous avons d’ailleurs invité trois fonctionnaires du ministère des finances algérien qui sont partis en stage au ministère des finances en Tchéquie.

Dans quels domaines un apport de la Tchéquie est-il envisageable ?

Dans le secteur de la gestion des finances et le développement économique, j’avais programmé de faire venir des spécialistes tchèques pour qu’ils puissent, en collaboration avec le ministère des Finances, continuer sur cette voie mais la covid nous en a empêchés.

Cette pandémie me bloque vraiment, c’est très dur car on avait beaucoup de projets mais on ne peut pas les réaliser. Ce que nous faisons beaucoup c’est essayer de partager notre savoir-faire au niveau de la gestion. Nous sommes très concernés par la gestion dans le domaine de la culture, parce que la culture c’est quelque chose dans  laquelle il faut toujours investir, notamment dans la restauration du patrimoine.

Pour un petit pays, nous disposons de beaucoup de monuments classés par l’ UNESCO. La gestion de ces monuments est, je pense, assez réussie donc nous essayons de partager ce savoir-faire avec nos partenaires algériens.

Nous avons une belle coopération avec le ministère de la culture, autour du musée d’Oran et avec l’institut supérieur de musique d’Alger. Nous avons déjà fait venir deux spécialistes de la faculté de musique de Prague à Alger faire des master class. Nous avons aussi prévus d’organiser un séminaire sur la gestion des monuments.

Il faut protéger ces monuments par la loi, ce qui existe déjà en Algérie, mais il faut aussi les restaurer, les entretenir et petit à petit, avec une bonne gestion, cela générera du profit et ouvrira une grande perspective au tourisme.  J’espère que l’Algérie va s’ouvrir beaucoup plus aux touristes parce qu’elle a vraiment plein de potentiels et un héritage énorme à montrer, que les européens ne soupçonnent même pas et qui sont extrêmement importants à voir.

La Tchéquie a connu un processus très rapide après son indépendance en adhérant à l’OTAN et récemment à l’UE. Que pouvez-vous dire sur ce volet ? 

La République tchèque qui est devenue indépendante en 1993 a vécu en une courte période des événements très accélérés. Ces adhésions ne se font pas du jour au lendemain.

Donc nous avons dû beaucoup travailler et surtout remplir tous les critères de l’UE pour pouvoir être un membre à part entière. Ces critères englobent l’éducation jusqu’au système de la justice, de défense ou encore le domaine agroalimentaire.

Quand je regarde en arrière, je me dis que c’était un peu le système de la carotte et du bâton. Parce qu’on nous a obligés de remplir toutes ces conditions et en même temps la carotte était notre accès à l’Union européenne parce que c’était vraiment une ambition pour nous.

En effet, après la deuxième guerre  la Tchéquoslovaquie qui était, entre les deux guerres mondiales, un pays très riche et développé était d’une certaine façon, coupée de force de l’Europe. Si vous regardez la carte géographique, la République tchèque ou même la tchéquoslovaquie se trouvent vraiment au cœur de l’Europe.

L’expulsion de l’Europe sur le plan politique a été vraiment un coup très dur. Notre volonté après les évènements de 1968, était de redevenir un pays normal, démocratique comme on l’a toujours été et c’était notre espoir depuis des années. La date butoir a été 1989, avec la chute du mur de Berlin et la tchéquoslovaquie est enfin devenue un pays grâce à la fin du parti unique. On considère cela comme une nouvelle étape dans notre histoire.

Puis la séparation de la Slovaquie a été mal vécue puisque les deux pays étaient liés par des liens familiaux et une connivence de longue date, depuis 1918. Comme la Slovaquie avait son ambition d’avoir son Etat indépendant, ça a été une sorte de divorce à l’amiable.

Nous avons compris leurs aspirations, les pays se sont séparés, tout a été divisé de 2 à 1 parce que la République tchèque fait pratiquement le double de la population slovaque. Tout a été réalisé de façon tout à fait pacifique, depuis nous avons gardé de très bonnes relations avec ce pays.

On dit en ce moment que l’Europe est un fardeau, vous ne pensez pas qu’une Europe des nations aurait été meilleure pour la Tchéquie ?

La réponse pour nous est tout à fait claire, nous sommes un  petit pays de 80 000 km2 pour 10,5 millions d’habitants. C’est un quart de l’Algérie en termes d’habitants, n’en parlons pas du territoire. Pour nous il est beaucoup plus avantageux de faire partie d’un système plus grand.

Ceci surtout grâce au libre-échange, libre circulation des personnes et des étudiants, ça a agrandi notre espace vital si je puis dire. Après, chacun voit les pouvoirs qui doivent être donnés à Bruxelles, les pouvoir à garder souverains du pays, chaque Etat membre les définit à sa façon.

Par exemple, nous n’avons toujours pas opté pour l’euro, la monnaie unique de l’Europe, ce qui n’est pas le cas de la Slovaquie. Après deux guerres mondiales, qui ont fait des millions de victimes, la solution de la cohabitation pacifique entre les pays en Europe, est un atout énorme. C’est la première idée qui a donné naissance ce continent.

Un mot pour les Algériens ?

Je commencerai par leur souhaiter bon courage et de tenir bon. Il faut essayer de faire de son mieux pour développer le pays. Si vous avez besoin de notre expérience et savoir-faire, n’hésitez pas. Appelez nous et venez et on vous dira si on peut aider ou non. Vous pouvez nous poser toutes les questions et demandes que vous souhaitez excepté sur la pêche maritime, comme il n’y a pas de mer chez nous !

S. C.

 

Nadir K

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