Propos recueillis par Sarra Chaoui
Dans cet entretien exclusif accordé à notre quotidien, le célèbre écrivain algérien Yasmina Khadra, réputé éclectique, se raconte et raconte une partie de son œuvre féconde et diversifiée. Surfant entre le réel et l’imaginaire, il dit son parcours, son amour immodéré de l’Algérie et rappelle que l’imagination n’a pas de frontières pour un homme d’écrit. Mais suivez donc sa pensé et vous en saurez un peu plus…
Crésus: Les relations humaines sont toujours au cœur de vos intrigues, notamment les histoires d’amour, pourquoi avoir choisi ce thème de prédilection ?
Yasmina Khadra : Tous les romans racontent l’Homme, jusque dans les fables de la Fontaine, jusque dans celles de Kalila wa Dimna. Aucune histoire n’échappe à la condition humaine. Toute ma vie, j’ai été intrigué par le facteur humain. J’essaye de le décoder à travers mes ouvrages. Le roman n’est pas qu’une intrigue ou une saga ou bien encore un conte de fée. C’est la quête du sens, la compréhension du genre humain et, par voie de conséquence, la compréhension du monde. Tout roman nous raconte un peu, tout personnage nous dévoile une part de nous-mêmes.
En tant qu’auteur, comment avez-vous vécu la crise sanitaire et le confinement qui s’en est suivi ?
YK : J’ai longtemps gravité à la périphérie de la déprime, au début. Se verrouiller chez soi à longueur de journée, observer les “absences” à travers la fenêtre et regarder, stoïque, le soleil nous faire un pied de nez est une épreuve insoutenable. Puis, l’homme étant un animal mutant, capable de s’adapter en toutes circonstances, je me suis repris en main.
C’est vrai, j’avais des livres à lire, et d’autres à écrire, mais me savoir “interdit” de recevoir des amis chez moi, ne pas pouvoir m’attabler sur la terrasse d’un café en grillant tranquillement une cigarette, c’était atroce. J’aime flâner dans mon quartier, rencontrer les gens, m’attarder devant une vitrine, prendre un banc et regarder le temps passer en charriant la foule et ses bruits, c’est un apaisement, pour moi.
Dame Covid a chamboulé nos repères et nous a mis sous scellés comme des pièces à conviction. Vivement le retour à la normal. J’ai hâte de rentrer en Algérie, de voyager, d’aller de par le monde à la rencontre de mes lecteurs et des personnes qui me sont précieuses.
Votre dernier roman, pour l’amour d’Elena, se déroule au Mexique, en plein guerre de clans de narcotrafiquants. Pourquoi avoir choisi ce cadre spatio-temporel pour votre histoire ?
YK : Pourquoi pas ? L’imaginaire n’a pas de frontières. J’ai écrit sur Cuba, la Corne d’Afrique, l’Afghanistan, l’Allemagne, le Maroc, l’Algérie, etc. Je suis un électron libre, otage consentant de mes inspirations. Mon roman puise sa thématique d’un fait divers, même s’il n’est qu’une fiction à cent pour cent. Une fiction proche de la réalité. Il faut oser convoquer le monde pour le comprendre, le voir de plus près, décortiquer ses non-dits, remuer sa poussière sous le tapis.
C’est un voyage Low Cost, le roman. Il ne coûte pas cher et nous enrichit sans compter. Nul besoin de visa, ni test PCR ni de contrôle aux frontières. Vous soulevez la couverture d’un ouvrage et hop! vous êtes ailleurs, aux antipodes de votre petite bulle. Ne cherchez pas à savoir pourquoi l’auteur a choisi tel ou tel décor. Entrez sans frapper et faites comme chez vous. La vie est un apprentissage de tous les jours.
Vous êtes l’auteur algérien le plus lu et traduit ces dernières années. A quoi imputez-vous ce succès ?
YK : Un peu à mon travail et beaucoup à la chance. Le succès est une rencontre de troisième type, un heureux événement qui ne dit pas son nom. On se l’approprie et on tente de le mériter en continuant de donner le meilleur de soi.
Quels seraient la place et le rôle de l’écrivain dans l’édification de l’Algérie nouvelle ?
YK : Cela dépendra de quelle “nouvelle Algérie”. Si l’Algérie de demain cherche déjà les bons repères pour se relever de ses décombres, l’écrivain sera son mentor, son guide, sa fierté et son mérite. Si elle s’évertue à n’être qu’un slogan creux, aucun écrivain, aucun artiste, aucun prophète ne lui sera d’une quelconque utilité.
Quels sont vos projets à venir ?
YK : Voir l’Algérie relever la tête. Sans quoi, mes projets ne seraient qu’un rêve égoïste.