Fraîchement reconduit à son poste par le dernier remaniement gouvernemental, le ministre de la Communication et également porte-parole du gouvernement, Ammar Belhimer revient dans cet entretien, le premier accordé après sa reconduction sur les grands sujets qui attendent son secteur qualifié par son auteur de champs de mines et de ruines.
Le ministre révèle dans cet entretien son souhait de dédier le Fonds d’aide à la presse à la formation et au perfectionnement de journalistes et à l’accompagnement de la presse numérique. Pour autant le ministre n’oublie pas de revenir sur les grands chantiers qu’il a lancé et qui lui tiennent à cœur. Résolu à rattraper le retard causé par la pandémie du Covid-19, Belhimer espère réconcilier le métier de journaliste avec la responsabilité sociale qui lui incombe….
Entretien réalisé par Mahmoud Tadjer
Cresus : Monsieur le ministre, vous vous souvenez de l’expérience du journal La Nation, (qui a réapparu depuis) au début des années 90 et la suspension qui l’a frappé ensuite. Ce fut la première fois qu’un journal en Algérie est frappé d’une interdiction depuis les premières réformes politiques engagées par Mouloud Hamrouche. Si je vous cite cet exemple c’est parce que vous étiez à ce moment le responsable de ce journal. Quelle est donc votre appréciation plus de 25 ans après et quelle lecture vous en faites ?
Ammar Belhimer : A ses origines, dans sa version quotidienne La Nation incarnait la rencontre de trois courants politiques incarnés par le FLN impulsé par feu Abdelhamid Mehri, le FFS au temps du regretté Aït Ahmed et le courant réformateur qui a initié la loi 90-07 qui a permis l’ouverture du champ médiatique. Tels étaient ses référents politiques, avec pour fil conducteur l’appel incessant au dialogue et à la réconciliation, la construction de l’Etat de droit et l’apprentissage démocratique, dans le respect des institutions, notamment l’Armée nationale populaire.
Par vocation académique et par conviction militante, j’ai toujours sacralisé la caution juridique en inscrivant les actions revendicatives les plus avancées dans le pré-requis normatif et institutionnel, faisant prévaloir l’intérêt national sur toute autre considération. La contradiction principale qui menace l’Etat-nation dans son existence me semble prévaloir sur les autres.
Trente ans après, dont une éprouvante décennie de lutte anti-terroriste, suivie d’une longue période d’improvisations, l’héritage n’est pas reluisant. C’est un champ de mines et de ruines, un nouveau Stalingrad qui a abrité des intrus à la profession, des recycleurs de fortunes indues et de rentes phénoménales tout aussi mafieuses.
Vous avez largement évoqué dans vos innombrables entretiens aux médias les grands chantiers qui attendent ce secteur dont vous avez la charge. Quel est donc celui qui vous tient le plus à cœur parmi les 10 chantiers engagés ?
Les chantiers de la réforme tiennent de deux grandes préoccupations : le raffermissement de l’exercice démocratique, l’encadrement juridique des activités de communication. Au titre de la première préoccupation, nous avons retenu le renforcement du cadre référentiel (au titre de la vision constitutionnelle), la préservation du cadre pluriel et concurrentiel de l’activité de communication (loin des abus de positions dominantes et des concentrations), le développement de la communication institutionnelle, le développement de la communication de proximité.
Au titre de l’encadrement juridique des activités de communication, nous pouvons citer la codification de l’activité de presse électronique multimédias (écrite, web radio et web télé), une loi sur la publicité, l’encadrement de l’activité de sondage d’opinion, une assise juridique pour les agences de communication, l’autorégulation de la presse écrite : Conseil national de la presse écrite (CNPE), le rapatriement juridique et technologique des chaînes de télévision privées.
Des dix chantiers, initiés il y a un peu plus d’un an, c’est celui de la réhabilitation du professionnalisme et de l’éthique et de la déontologie -les trois vont ensemble-qui me tient le plus à cœur. J’ai initié cette réhabilitation sur la base d’une démarche inclusive et résiliente pour concilier deux grandes catégories juridiques qui me paraissent commander un exercice apaisé de ce noble métier : la liberté et la responsabilité. L’une ne va pas sans l’autre dans une société démocratique.
Vous êtes-vous issu de la presse publique et ensuite privée, quel regard portez-vous donc sans tabou sur la presse d’aujourd’hui ? Que doit être sa mission principale : être au service de l’Etat ou critique envers lui ?
De par sa nature-mettre en commun, faire rencontrer des lecteurs, des auditeurs et des téléspectateurs –la presse a une mission originelle, extrinsèque de service public, à laquelle s’ajoute la mise à une des situations déplorables qui font obstacle au vivre-ensemble, aux droits des gens, au droit tout court.
On a l’impression que vos réformes ne vont pas trop vite ? Qu’est-ce qui bloque si c’est le cas ?
Les chantiers en souffrance – plus particulièrement les textes relatifs aux agences de communication, à la publicité et aux organismes de sondage – subissent, comme nombre d’autres secteurs, les retombées du Covid-19, en raison de la difficulté à réunir les acteurs concernés pour les associer à l’encadrement juridique de leurs activités. Avec l’adoption de la nouvelle Constitution, un nouveau chantier s’ouvre à nos priorités : mettre en conformité la loi organique relative à l’information avec les nouvelles dispositions de l’article 54 de la loi fondamentale.
Parlons maintenant du Fonds d’aide à la presse gelé depuis des années. Vous avez récemment indiqué qu’il allait être débloqué. Peut-on connaître le montant de ce fonds et comment il va être utilisé ?
Nous envisageons de réactiver les Fonds d’aide à la presse gelé depuis 2014 pour notamment accompagner la transition du papier au numérique, soutenir les efforts de formation et de perfectionnement. La loi de finance complémentaire est, au plan procédural, le moment idoine pour le faire.
La presse écrite dans son ensemble souffre d’une représentation syndicale forte, on ne peut pas ici dévoiler toutes les difficultés qui empêchent son organisation. Comment dans ce cas comptez-vous dialoguer avec les professionnels de la presse en absence d’un interlocuteur ?
La représentation syndicale est embryonnaire dans le secteur des médias. A l’exception des entreprises publiques, qui abritent des structures de revendication et de participation représentatives, on déplore, partout ailleurs, un grand vide. Ce dernier empêche la médiation et les arbitrages requis par les conflits relatifs aux conditions de travail et aux rémunérations.
La presse audiovisuelle possède son autorité de régulation, sauf la presse écrite. Qu’est-ce qui retarde selon- vous son installation ?
L’autorité de régulation de la presse écrite prévue par la loi de 2014 est déjà obsolète au regard de l’absence de référence internationale en la matière et à l’avènement du nouveau cadre constitutionnel. Nous avions envisagé, en lieu et place de cette autorité, un Conseil national de la presse écrite ayant en charge la délivrance de la carte de presse, les arbitrages en cas de manquements aux règles éthiques et déontologiques et la médiatrie que commande une équitable répartition de la manne publicitaire selon une formule qui assure que le champs médiatique reste ouvert, à l’abri de tout monopole, tout en récompensant le mérite.
L’Algérie est-elle dotée d’outils performants pour contrer les attaques récurrentes des hackers marocains ciblant des sites officiels algériens ?
Dans les jeunes démocraties, en quête d’Etats de droit, faute de normes dissuasives, l’interception et l’étalage des conversations privées met à rude épreuve la vie privée des personnes, notamment les plus exposées en raison de leurs activités publiques, dans les instances de l’Etat comme dans l’opposition.
Aussi, faute d’institutions démocratiques et représentatives abritant des échanges civilisés, un dialogue pacifique, des médiations efficientes et des arbitrages féconds, requis pour la cohabitation des intérêts en présence, il ne reste comme recours aux acteurs politiques et sociaux que l’émeute électronique, d’autant plus attrayante et prisée que ses effets, sont immédiats.
Les médias, les dirigeants politiques, les universitaires et le grand public omettent souvent de mettre en perspective historique la spirale infernale des informations quotidiennes ; ils ont tendance à se concentrer sur les derniers évènements et crises.
Pour fixer les choses depuis l’arrivée en masses des réseaux asociaux, je dis bien asociaux et je préfère cette expression à celle en vigueur, la constitution algérienne déclare inviolables et protégés par la loi la vie privée et l’honneur du citoyen.
De même qu’elle garantit le secret de la correspondance et de la communication privée. Ces grandes catégories de droit sont énoncées dans la nouvelle constitution, adoptée en novembre 2020, à l’art 47 dans les termes suivants : «toute personne a droit à la protection de sa vie privée et de son honneur. Toute personne a droit au secret de sa correspondance et de sa communications privées, sous toutes leurs formes». Le même article 47 insère deux nouveaux alinéas, le 3 et le 4 pour énoncer : «la protection des personnes dans le traitement des données à caractère personnel est un droit fondamental.
La loi punit toute violation des droits susmentionnés». Rappelons qu’en droit, la vie privée est circonscrite à trois éléments de la personnalité : le respect des comportements, de l’anonymat et de la vie relationnelle. Je suis favorable à un renforcement de leur protection par l’édiction des peines les plus lourdes, quel que soit le mobile ou le statut social de l’agresseur. C’est d’autant plus nécessaire que le phénomène n’épargne personne et prend des proportions alarmantes. Au point où les experts parlent depuis la décennie 2010 d’infodémie, de contamination informationnelle, avec des actions visant des objectifs divers (économiques, politiques, idéologiques, militaires, voire narcissiques).
L’intervention massive et organisée d’intoxicateurs-manipulateurs, dont des Etats, pervertit les systèmes d’information, en particulier les réseaux sociaux ? Après les fake news – expression anglaise qui a fait son apparition en 2016 pour signifier intox, informations fallacieuses ou fausses nouvelles participant à des tentatives de désinformation – voici venue l’ère des deepfakes, une technique de synthèse d’images basée sur l’intelligence artificielle rendant possibles des hyper-trucages, ou permutations intelligentes de visages, également de plus en plus usités chez nous.
La technique sert principalement à superposer des images et des vidéos existantes sur d’autres images et/ou vidéos en vue de jeter le discrédit sur des personnalités du monde de la politique, des arts ou de la culture. Les deepfakes sont des contrefaçons vidéo recourant à une technologie de reconnaissance faciale pour brouiller l’identité si bien que vous ne remettez même pas en question sa vérité. Vu que 70% des Algériens consultent la presse électronique, il est devenu urgent de faire face à la cybercriminalité, en se focalisant sur la garantie de la souveraineté cybernétique basée sur la production d’un contenu national qualitatif sur les sites électroniques et les plateformes universitaires et la sécurisation du réseau en vue de consacrer la souveraineté de l’Etat.
Aussi est-il exigé que la domiciliation des sites électroniques régis par le décret exécutif relatif aux modalités d’exercice de l’activité d’information en ligne et de diffusion de mise au point ou rectification sur le site électronique reste dans le domaine.dz. La sécurisation des plates-formes web et sites électroniques est un enjeu fondamental selon un audit des sites web institutionnels réalisé par l’Observatoire du groupement algérien des acteurs du numérique. Le certificat SSL constitue une des protections les plus indispensables à déployer sur un site web. Malheureusement, 85% des sites web audités ne disposent pas de ce certificat, et ce, en dépit des assurances réitérées par le ministère.
M.T