Entretien La Une

«L’Algérie s’achemine tout droit vers le FMI» (Farid Yaïci)

Farid Yaïci, Professeur et Directeur du laboratoire Économie & Développement, université de Béjaïa

Propos recueillis par M. Aziri

Si vous deviez faire le bilan d’un an de gouvernance économique du gouvernement Djerad, que diriez-vous au juste ? Autrement dit, dans quelle situation économique, financière et sociale se trouve le pays actuellement ? Un plan de relance économique 2020-2024 avait été annoncé au tout début du mandat présidentiel. Pandémie de la Covid 19 oblige, le chantier de la relance est reporté sine die. Que doit être la réponse des politiques pour sortir l’Algérie de la récession de son économie ?

Le gouvernement Djerad a été installé le 28 décembre 2019, en plein « Hirak » où le peuple algérien sortait encore massivement dans la rue chaque vendredi et chaque mardi pour demander un changement radical du système politique en place. Ce mouvement populaire revendicatif n’avait été suspendu, provisoirement, que le 17 mars 2019 en raison de la pandémie de la Covid-19.

C’est dire, déjà, que les conditions politiques, préalables à tout programme économique sérieux et qui susciterait l’adhésion du peuple, n’étaient pas réunies. Le plan d’action du gouvernement, publié le 6 février 2020, était politique, économique, social, diplomatique et sécuritaire. Dans le volet politique, le plan d’action promet de « veiller à concrétiser une nouvelle République, née des aspirations du peuple, dès l’aboutissement de la révision constitutionnelle, en mettant en place un nouveau mode de gouvernance empreint de rigueur et de transparence et un exercice plein des droits et libertés ». On en est encore loin lorsqu’on sait, d’une part, dans quelles conditions a été préparée la nouvelle Constitution (…)

Dans le volet économique, le plan d’action promet une réforme financière et un renouveau économique. Sans qu’il ne soit chiffré, le programme économique est ambitieux. Sur le premier point, il vise ainsi une refonte du système fiscal, une instauration de nouvelles règles de gouvernance budgétaire, une modernisation du système bancaire et financier et un développement de l’information statistique et de la fonction prospective.

Sur le second point, il vise à promouvoir le cadre de développement de l’entreprise, améliorer substantiellement le climat des affaires, rationaliser le déploiement territorial, le développement industriel et l’exploitation du foncier économique, développer les filières industrielles et les mines, valoriser la production nationale, rationaliser les importations et promouvoir les exportations, assainir la sphère commerciale, réaliser la transition énergétique, développer l’agriculture et la pêche modernes pour une meilleure sécurité alimentaire, relancer l’industrie du tourisme et de la cinématographie, développer les infrastructures d’appui aux technologies de l’information et de la communication, faire émerger une économie de la connaissance et assurer une transition numérique accélérée et, enfin, revenir à une approche économique pour lutter contre le chômage et promouvoir l’emploi.

Force est de constater, que plus d’une année après l’annonce du plan d’action du gouvernement, nous ne percevons pas encore les prémices de son application. Il est vrai que la crise sanitaire est passée par là, venue aggraver la crise pétrolière qui a débuté en 2014, mais ces deux crises ne sont que les symptômes d’une crise plus profonde, plus structurelle et plus ancienne touchant à la gouvernance du pays, et donc de ses ressources humaines et naturelles.

Dès lors, pour se sortir de la crise, et susciter l’adhésion du peuple à un programme de relance économique, qui n’évitera pas de causer des difficultés à la majorité de la population, il faut d’abord réunir les conditions politiques de son application.

Les indicateurs de l’économie communiqués par le gouvernement (chômage, inflation, croissance, consommation, etc.) ne sont pas alarmistes. Certaines institutions financières, dont le FMI et la Banque mondiale font, pour leur part, des prévisions positives (par rapport à la croissance notamment). Jusqu’où ce tableau de bord où les indicateurs sont résolument au vert peut être vrai ?

L’année 2020 s’est terminée avec des indicateurs économiques et sociaux peu reluisants. Selon les estimations du Fonds monétaire international (FMI) datant d’octobre 2020, le taux de croissance du Produit intérieur brut (PIB) réel a chuté à – 5,5% (0,8% en 2019), l’inflation moyenne annuelle (IPC) a augmenté à 3,5% (2,0% en 2019), le solde du compte courant de la balance des paiements s’est creusé à – 10,8% du PIB (-10,1% en 2019) et, enfin, le taux de chômage a fait un bond à 14,1% de la population active (11,4% en 2019). Les estimations communiquées à la même date par la Banque mondiale sont légèrement plus préoccupantes et celles fournies par les autorités algériennes légèrement moins préoccupantes.

Les prévisions pour 2021 ne sont pas plus optimistes et ce, malgré les espoirs de reprise économique mondiale dus aux annonces de déconfinement et au début de vaccination des populations. Selon les prévisions du FMI, excepté le taux de croissance du PIB qui remontera à 3,2% (en partant de -5,5% en 2020) alors que la Banque mondiale estime le taux de croissance nécessaire à l’économie algérienne à 7% pendant plusieurs années pour qu’elle puisse effectuer son rattrapage, l’IPC augmentera à 3,8%, le solde du compte courant de la balance des paiements se creusera à -16,6 % du PIB et le taux de chômage s’accroîtra à 14,3% de la population active. Ainsi, l’économie algérienne aura perdu sept ans à compter uniquement de la crise pétrolière de 2014 sans qu’elle n’ait pour autant entamé ses réformes structurelles. Avec cette situation de crise profonde qui perdure et l’épuisement des réserves de change qui s’annonce, l’Algérie s’achemine tout droit à demander l’assistance du FMI.

Comment appréciez-vous la récente décision de la Banque d’Algérie de réduire d’un point, de 3 à 2%, les réserves obligatoires ? Quels seraient les avantages escomptés et/ou les risques comportés par pareille mesure ?

Le taux de réserves obligatoires est un instrument de politique monétaire. Pour la Banque d’Algérie, il fait partie de la panoplie d’outils qu’elle manipule, dans un sens ou dans un autre, pour maîtriser la masse monétaire et, donc, l’inflation en vue d’aider à la relance de la croissance économique.

Mais, la  politique monétaire en Algérie est rythmée par l’évolution des prix du pétrole brut et, par conséquent, des revenus qui en sont tirés. Dans les périodes de hausse des prix pétroliers, à l’exemple de la période 2002-2014, l’afflux de revenus en devises a gonflé la masse monétaire et fait craindre une explosion de l’inflation, ce qui a conduit la Banque d’Algérie à mener une politique monétaire restrictive par le biais de reprises de liquidités, l’augmentation des réserves obligatoires, la rémunération de la facilité de dépôt et le gel du taux de réescompte. A contrario, dans les périodes de baisse des prix pétroliers, à l’exemple de la période allant de 2014 à ce jour, la pénurie de revenus en devises a réduit la masse monétaire et, par conséquent, les crédits à l’économie, ce qui a conduit à une récession.

Dans ce contexte, la Banque d’Algérie a réactivé certains instruments de politique monétaire, tels que le taux de réescompte, les opérations d’open market, la facilité de prêt marginal et la diminution des réserves obligatoires, et a ajouté même un instrument non conventionnel à la panoplie en 2017, la planche à billets, en l’occurrence. Réduire encore d’un point, de 3 à 2% le taux des réserves obligatoires afin de libérer des liquidités supplémentaires au profit des banques qui en souffrent d’un manque, sachant que ce taux était à 12% il y a seulement quelques mois et qu’il avait été déjà réduit plusieurs fois, montre que la Banque d’Algérie est en train d’épuiser ses marges de manœuvre.

Pour équilibrer les comptes publics, creusés par les déficits, le gouvernement a annoncé, entre autres, une coupe sévère dans la facture d’importation qui devait baisser de 10 milliards de dollars et la dévaluation progressive de la monnaie nationale de plus de 25 % à l’horizon 2023. Certains experts plaident la cause d’un taux de dévaluation plus soutenu. Comment jugez-vous l’approche ? Faut-il compter sur une reprise des cours du pétrole ? Dévaluer le dinar (dans quelle propension ?) ? Relancer l’économie (avec quels moyens) ou frapper aux portes des bailleurs de fonds internationaux?

Avec la baisse drastique des prix du pétrole brut depuis juin 2014, amplifiée par la pandémie de la Covid-19 depuis mars 2020, l’économie algérienne s’est révélée vulnérable, dépendante de ses hydrocarbures et mal gouvernée.

En effet, c’est depuis la nationalisation des hydrocarbures en 1971 que l’Algérie n’a cessé de fonder sa politique de développement sur cette ressource naturelle, d’abord, dans les années 1970 et 1980, dans le cadre de la planification et de la stratégie des « industries industrialisantes » et, ensuite, dans les années 2000 et 2010, dans le cadre de l’ouverture commerciale et la réalisation par l’Etat de grands projets d’infrastructures de base et de programmes sociaux.

Ce modèle a conduit à de nombreux et graves dysfonctionnements, à savoir : marginalisation des activités productives hors hydrocarbures, mauvaise allocation des ressources, dépendance accrue de l’extérieur, inefficience du système fiscal, développement de l’informel et généralisation de la corruption, entre autres. En outre, le violent choc qu’a subi l’économie algérienne fait que les ajustements à opérer sont considérables et que les réformes structurelles à mener doivent concerner quasiment tous les domaines. Néanmoins, les montants et les taux des ajustements ne sont pas figés et peuvent varier en fonction de l’évolution des prix des hydrocarbures et, donc, des revenus issus de leurs exportations.

A titre d’exemple, la surévaluation du dinar algérien est estimée entre 30 et 40% par les institutions financières internationales, qui se donnent ainsi une marge d’erreur de 10%. De plus, de mon point de vue, les ajustements doivent être lissés dans le temps pour éviter à la population de subir de plein fouet leurs contrecoups. Il faut signaler encore que les mesures d’urgence prises par le gouvernement telles que les augmentations d’impôts et taxes, la coupe drastique dans les importations et la dépréciation de la monnaie, entre autres, ne sont pas de nature à relancer l’économie.

Elles sont destinées tout au plus à tenter de la stabiliser et à freiner l’épuisement des réserves de change. Elles doivent être accompagnées de réformes structurelles à mener dans un écosystème favorable à construire.

D’abord, il y a lieu de concevoir un programme cohérent de réformes globales, qui doit concerner, entre autres, le système monétaire, le secteur bancaire, le marché financier, le dispositif budgétaire, l’arsenal fiscal, l’entreprise publique, l’entreprise privée, le climat d’investissement et d’affaires, les transferts sociaux et la sphère informelle et un programme de réformes sectorielles relatif à l’industrie, l’agriculture, le tourisme, l’artisanat, le numérique et autres, et les exécuter de façon graduelle et pragmatique.

Ensuite, dans le cadre d’une économie de marché, l’allocation des ressources est censée se faire de manière rationnelle, sans distinction entre les secteurs public et privé. Enfin, dans ce contexte, l’Etat doit jouer un double rôle, de stratège et de régulateur.

 

Nadir K

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