Entretien

Thierry Lambert, financier et expert international, à Crésus: «L’annonce d’une dévaluation sur 3-4 ans,  affole pas mal de personnes»

Propos recueillis par S. Chaoui

Le  ministre des Finances a annoncé une dévaluation du dinar sur une période assez longue, 3-4 ans.  Pouvez-vous nous donner votre lecture du point de vue technique et  stratégique?

Je ne me prononcerai pas sur le cas particulier de l’Algérie, ne connaissant pas le dossier, je me garderai bien d’avoir un jugement précis. Mais d’une façon générale, on peut dire que quand il y a une dévaluation, on la réalise sans l’annoncer et encore moins sur 3-4 ans. On l’annonce et on la fait, il y a un problème de rapidité qui se pose. Par exemple, en France pendant très longtemps, on a réalisé les dévaluations durant le week-end parce qu’on ne voulait pas que ça impacte la bourse.

On faisait la dévaluation le week-end et le lundi quand la bourse rouvrait, on remarquait des petits soubresauts mais c’était quand même globalement maîtrisé. Mais une annonce de dévaluation sur 3 ou 4 ans, je ne vois pas l’intérêt très sincèrement, j’ai du mal à comprendre l’objet,  si ce n’est que ça risque d’affoler pas mal de personnes. Il y a ceux qui vont vite acheter  du dollar ou de l’euro selon les moyens, d’autres vont regarder à deux fois avant de venir investir dans la mesure où la monnaie est relativement instable… je ne vois donc aucun intérêt à l’annoncer sur une période aussi longue.

Au lieu de dévaluer, qu’aurait-on pu faire avec une monnaie aussi faible ? Quelles alternatives auraient été envisageables ?

Je pense que l’émission de monnaie est une erreur, car cela ne correspond pas à l’économie réelle en réalité. Donc il y a eu beaucoup de monnaie qui a été émise pour  payer les retraites, les fonctionnaires, les subventions et… En réalité, ça ne correspond à rien, ce n’est pas une économie réelle.

Donc l’émission de monnaie n’est pas la meilleure des choses. Par contre un assainissement des finances publiques oui, remettre un système fiscal qui ne repose pas simplement sur le pétrole mais qui repose sur des personnes physiques ou des entreprises beaucoup plus sophistiquées que ce qui existe, cela me paraît plus intéressant. Il y a des réformes fiscales structurelles à faire quand ça va bien mais pas en période de crise.

Y aurait-il eu par exemple un encouragement d’ouverture pour la PME/PMI.

Le tissu industriel et économique c’est la petite entreprise, voire la très petite qui les compose. Donc il faut les encourager et les favoriser, soit par des outils fiscaux, soit par des outils bancaires au développement  économique. Je reste persuadé qu’il faut bancariser au maximum les activités, favoriser la traçabilité, utiliser moins de cash pour qu’il y ait moins de circulation d’argent liquide.

Bancariser pour pouvoir déterminer la nature des activités et éventuellement les imposer. Le développement du cash  participe à la problématique des difficultés. Tout le monde vit du marché parallèle, sauf l’économie réelle. Encaisser, dépenser des espèces entre deux personnes sans TVA, sans impôt sur les sociétés etc. C’est mauvais pour l’économie. Il faut bancariser pour tracer.

Concernant l’endettement extérieur, ne serait-il pas une solution ? Bien évidemment avec un plan de remboursement, ne constituerait-il  pas une manière de relancer l’économie ?

Il faut déjà regarder quel est le taux d’endettement et de dépense vis-à-vis des bailleurs de fonds internationaux, notamment regarder s’il y a encore une capacité à emprunter. Pour négocier des taux d’emprunt, le marché international fait que les taux sont relativement faibles, voire négatifs, mais il faut quand même que les bailleurs aient confiance.

Le pétrole s’est remis de la pandémie, ne pensez-vous  pas que cela suffit comme garantie ?

Oui, il est un peu remonté mais si les bailleurs ont déjà beaucoup prêté  et qu’il n’y a pas eu d’incident de rééchelonnement. Mais s’il y a eu des rééchelonnements, car ils n’ont pas pu rembourser à cause de la crise, ça sera plus compliqué.

Les taux seront plus chers. Il faut donc voir quel est le niveau d’endettement actuel,  sa durée et surtout pourquoi faire ? Si l’idée est de payer les frais de fonctionnements avec de l’emprunt, ce n’est pas une bonne idée, si l’idée est de les utiliser pour des investissements d’avenir, des transformations économiques, numérisation, ce n’est pas la même chose. La question est de savoir à quoi ça sert. Si c’est pour payer les frais courants, couvrir les dépenses d’exploitation ou pas, est-ce que c’est considéré comme investissement ? Si c’est un investissement, ça serait intéressant.

S.C.

Nadir K

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