Propos recueillis par M. Aziri
Crésus : Comment interprétez-vous la décision récente de la Banque d’Algérie de réduire le taux de réserves des banques, de 3 à 2 %. Qu’est-ce qui justifierait, selon vous, la levée de cette mesure prudentielle et qu’en est- il du risque (d’assèchement) que cela comporte pour les banques elles- mêmes?
Je n’ai pas beaucoup de commentaires à faire sur le sujet. C’est une décision logique compte tenu du contexte. Cette mesure vise essentiellement à redonner aux banques, un peu d’oxygène. Sachant qu’elles sont sous respiration artificielle comme certains patients de la Covid 19.
Pouvez-vous nous donner une estimation des sommes qui seront libérées du fait de la réduction de 1 % de leurs réserves. Et à combien, estimez-vous, les dépôts dormants dans les banques par le fait de la décision imposant un seuil de réserve?
Les dépôts représentent 10 trillions de dinars. Donc, 1% c’est 100 milliards de dinars. 2% de réserves maintenues, c’est 1,5 milliard de dollars au taux de change officiel. Donc , ce n’est pas grand-chose au final. Notons qu’une grande partie va servir à financer le déficit de l’Etat et des entreprises publiques type Sonelgaz ou Air Algérie
Justement, la Banque d’Algérie, dans son dernier communiqué ne parle pas de financement de l’économie. Diriez-vous que c’est un des derniers verrous qu’on fait sauter avant le recours à…un financement extérieur (endettement)?
Oui, certainement. Il y a encore un peu de marge sur le financement non conventionnel. Mais peu. Par contre, les marges sont plus importantes avec une baisse du dinar. Mais ça ne suffira pas
Officiellement, la création monétaire n’a plus cours?
Officiellement, oui.
La loi de finances 2021 prévoit déjà une dépréciation progressive du dinar, échelonnée sur 3 ans. À combien estimez-vous la dévaluation de la monnaie nationale, au moins depuis mars 2020 coïncidant avec le début de la pandémie de la Covid 19 en Algérie ?
Il y a donc ce moyen de créer de la monnaie de manière conventionnelle avec la baisse de la valeur du dinar. Je pense qu’il faudra dévaluer le dinar de 40%. Passer à 220 – 250 DA pour
1 dollar à l’ horizon 2023. C’est ce que j’avais préconisé aussi dans une étude qui a circulé à la présidence . Il faudrait un grand plan de redressement de l’économie. Mais je pense que ce n’est pas dans les tuyaux. En coulisses, le gouvernement – celui-là ou le suivant – prépare probablement l’endettement extérieur. Au cas où…
Le baril repart à la hausse (…) et le gouvernement peut toujours recourir à des réserves de change subsistantes. Qu’est-ce qui justifiait une dévaluation aussi importante (40 %) de la monnaie nationale?
Dévaluer, c’est l’un des seuls moyens de redresser les équilibres. Les réserves de change, il n’y en aura bientôt plus beaucoup. Il y a à peu près 10 milliards de baisse minimum par année. Même si le pétrole reste à 60 dollars le baril.
Quand vous avez proposé une dévaluation de 40 % du dinar, quelle a été la réponse de vos interlocuteurs officiels?
Sur le principe, ils comprennent que c’est inévitable mais ils veulent en retarder l’échéance. Toujours, le calcul sur le baril. Sauf qu’en même temps, les volumes (d’exportation d’hydrocarbures) baissent aussi. Donc, l’un dans l’autre, ça ne fonctionne pas.
Un scénario à la Venezuela en perspective?
Je ne pense pas. Pour une raison simple : le facteur géopolitique. Jamais l’Europe ne laissera l’Algérie dériver au-delà d’une certaine limite.
Pourtant, les années 1990 font cas d’école : l’Algérie était bien partie à la dérive
Justement. Je pense que personne n’a envie de revoir ça. Surtout pas les Européens avec les problèmes économiques et sociaux chez eux.
Parlons du coût social. Dans la perspective d’une dévaluation aussi “cassée”, comment compenser la perte sèche en pouvoir d’achat?
C’est une dévaluation étalée sur 3-4 ans. De plus, il faudra veiller à garder certaines subventions sur l’alimentation notamment.. Il faut en même temps relancer la croissance en libéralisant l’économie davantage
Pour revenir à la première question, la décision de la BA est à la fois une soupape de décompression, sinon une sorte de sas préparant à des décisions plus lourdes (dévaluation, endettement)
Oui, c’est une décision pour donner de l’oxygène à court terme. Elle n’a de sens qu’avec d’autres mesures d’accompagnement. Il faudra notamment recapitaliser les banques. La Banque d’Algérie y fait référence de manière cryptée dans son communiqué. Je crois qu’elle fait passer un message dans ce sens au gouvernement
Avant-hier, Hassan Boudali, directeur central des banques publiques et du marché financier (ministère des Finances) a évoqué l’ouverture du capital des banques CPA et BDL via la Bourse d’Alger. Qu’en pensez-vous ?
C’est ce qu’il faut faire. Maintenant, pour le succès de l’opération, tout dépendra des conditions dans lesquelles elle va se faire. J’insiste sur la recapitalisation. D’abord recapitaliser. Puis ouvrir le capital. Sinon, c’est comme si on vendait une voiture avec un vice caché.
Pourquoi ouvrir le capital de banques qui ont été recapitalisées?
Pour récupérer de l’argent qu’on a injecté. Et pour donner un signal aux investisseurs