De Marseille – Entretien
Jean. B. va boucler ses 72 ans. Quand ils sont rentrés d’Algérie, il était encore un enfant, un préadolescent comme on dit aujourd’hui. De Diar Saada, quartier moderne d’Alger de l’époque, à La Rouvière, grande résidence aux bâtiments immenses construite à la hâte pour les rapatriés, dans la zone sud de Marseille, le destin de cette famille de «pieds-noirs» s’est renversé, témoigne-t-il. Aujourd’hui, il répond à nos questions au sujet de la mémoire, de la repentance. Point de vue particulier mais tourments bien algériens…
Que pensez-vous du débat sur la mémoire entre la France et l’Algérie, avez-vous entendu parler du rapport Stora ?
Oui, en ce moment à la télévision et sur Internet où je me connecte, il y a beaucoup de commentaires, des débats…D’ailleurs je n’ai pas lu ce rapport mais d’après ce qui me parvient à travers les échos des autres, encore une fois Monsieur Benjamin Stora aurait mieux fait de se taire !
Pourquoi ?
Parce que c’est du passé tout cela et il me semble qu’il théorise, qu’il raconte ce qu’il n’a pas vécu. Il faut tourner la page. Nos parents qui ont été les derniers à vivre cette époque en adultes sont tous morts pratiquement ou sont maintenant très âgés. Moi-même qui étais ado à l’indépendance de l’Algérie, lorsque je parle de cette histoire, mes enfants ne me comprennent pas et s’en foutent.
Mais les Algériens veulent une reconnaissance française officielle des crimes coloniaux en plus d’excuses, de la repentance de l’Etat Français pour les 132 ans d’horreur et de spoliation…
Je ne sais pas si les Algériens d’aujourd’hui, les jeunes, s’intéressent à cela, vraiment. Peut-être les vieux, ceux de ma génération. Et c’est normal. Mais, pour nous les Algériens qu’on a appelés les Français d’Algérie, la colonisation n’a pas bousillé que les «Français musulmans» de l’époque.
De Gaulle et tous les hauts responsables politiques et militaires de l’ex-métropole, ont manœuvré contre tous les Algériens lors des événements ou de la Guerre d’Algérie. Nous sommes tous victimes de leurs choix. Je suis maintenant persuadé qu’ils ne voulaient pas garder l’Algérie parce que les Algériens, avec plus de droits et sortis du rapport colonisés-colons, auraient bouffé la France métropolitaine.
La cruauté coloniale et l’occupation illégitime du territoire algérien par une politique de peuplement ont précédé De Gaulle…
Certes, mais il ne faut pas croire que nous étions tous des colons propriétaires terriens exploitant des autochtones dans de grandes fermes…Nous vivions paisiblement avec les autres Algériens musulmans, à l’école, au travail, dans la rue. C’est vrai qu’au départ, lors de la conquête de l’Algérie, il y a eu des massacres, des expéditions barbares etc mais nous, on n’avait rien à voir avec cette aventure colonialiste.
Ma famille, par exemple, était d’origine maltaise, sûrement plus proche des Berbères et des Maures que des Français. Nous avons été assimilés aux Français parce que nous venions d’ailleurs par rapport aux autochtones. Cependant, nous n’étions pas vraiment Français, tout comme les Algériens de confession juive qui ont été assimilés par le Décret Crémieux. Je pense que la plus grosse erreur qu’ont commise mes parents -et ils l’ont reconnue ensuite- c’était de partir en 1962.
Près de 6O ans plus tard, vous regrettez encore l’Algérie ?
Écoutez, j’y suis retourné il y a deux ans, pour la première fois. J’y ai été accueilli à bras ouverts par tous ceux que j’ai rencontrés. J’ai visité l’appartement de mon enfance. Dans la rue je marchais librement, un contact formidable. Le Hirak joyeux et pacifique. Des autorités algériennes bienveillantes à l’aéroport, à l’hôtel … Je suis né à Alger et je me suis senti chez moi en Algérie.
Pendant toutes ces années en France, en tant que commandant de police avant ma retraite, il m’arrivait souvent d’avoir à faire à des citoyens français d’origine algérienne ici à Marseille et je me suis toujours senti proche d’eux culturellement…Sans démagogie, ni triche. Il m’est arrivé de dire en m’énervant à des gamins qui me taquinaient que «j’étais plus Algérien qu’eux». Cela les a bousculés… Au lieu de propos racistes, j’étais fier de mes origines algériennes. Bien sûr que 60 ans après on pleure encore l’Algérie !
Et la repentance, vous ne croyez pas qu’il est temps que l’Etat Français sache faire acte de repentance pour plus d’un siècle d’ignominie ?
Je vous le disais au début de l’entretien, je suis pour qu’on tourne la page. Mais s’il faut que l’Etat fasse acte de repentance symbolique, oui pourquoi pas ! Mais il ne doit pas nous oublier nous, les Algériens chassés d’Algérie, les dindons de la farce. Nous vivions tranquillement avec les autres Algériens musulmans. La colonisation, je dirais l’esprit colonial, nous a tous bousillés.
Ma mère qui a eu son bac en 1921, a été fonctionnaire détachée auprès du GPRA à Rocher Noir avec feu le président Farès dans le cadre des accords d’Evian. Elle m’a dit un jour «Pourquoi la France n’a pas pensé plus tôt à rendre aux Algériens leur souveraineté?» Maman voulait certainement dire qu’on aurait évité la guerre et notre départ brutal. Mais peut-on refaire l’histoire ?
Propos recueillis par Nordine Mzala