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Quel avenir pour Gara Djebilet ?

 Par : M. Nacereddine Kazi Tani

 Vers 1200 avant J.C. L’ère du fer et ses bas fourneaux enterre l’ère du bronze. Elle avait débuté pourtant il y a quelques 6000 ans en forgeant du fer natif d’origine météoritique et n’a pu réduire les minerais oxydés de fer, c’est à dire fonder la sidérurgie qu’un millénaire plus tard.

La Méditerranée : Anatolie, Égypte, Maghreb ont été les principaux foyers de ce saut technologique et civilisationnel. C’est dire que le fer a été exploité et traité de longue date en Algérie, en témoigne la toponymie : Djebel Hadid etc.. La colonisation a très tôt ouvert, dès 1860 des exploitations ferrifères (Souma (Alger) 1861, Aïn Mokra (Annaba) 1865…). Au total une cinquantaine dont le minerai était très apprécié en France et a servi à construire, entre autres, la célèbre Tour Eiffel.

En 1935 Nicolas Menchikoff découvre dans le Bou Bernous le gisement de fer de Fedj Mléhas où dorment quelques 700 millions de tonnes de fer en 6 lentilles de minerai. Mais la découverte majeure par Pierre Gevin en 1952 aux confins algéro-mauritaniens, au lieu-dit Gara Djebilet a fait rêver en raison de la teneur en fer-métal du minerai, près de 60%, et de l’énormité des réserves. Une exploitation et une évacuation portuaire par Agadir a même été envisagée en 1955. Cependant, la ressources ne se limite pas au seul gisement de Gara Djebilet, d’ailleurs passablement phosphoreux ce qui constitue un frein à son emploi en sidérurgie.

Il existe des dizaines de gisements dans le Paléozoïque du Sahara qui totalisent 24,5 milliards de tonnes mais malheureusement tous très phosphorés et donc sans avenir sidérurgique sans déphosphoration onéreuse, Mais il existe dans les terrains plus anciens (2 à 3 milliards d’années) du Nord du Hoggar du fer magnétitique en grandes quantités (plusieurs milliards de tonnes) non contaminés par le phosphore, bien moins éloignés des ports que celui de Gara Djebilet et plus proches des puits gaziers et des eaux fossiles du Continental intercalaire.

Il s’agit par exemple des gisements d’Ihedane où les réserves estimées du BRMA sont de 3 millions de tonnes au mètre enlevé et des teneurs de l’ordre de 50%, le gisement de l’Ounane est également remarquable, l’Aleksod aussi et dans l’In Ouzzal où des magnétites parsèment le reg…

Caractéristiques du gisement de Gara

Le gisement de Gara Djebilet recèle 2,231 milliards de tonnes de fer-métal extractible à partir de 4,654 milliards de minerai de teneur moyenne de 48% variant de 30,1 à 56,7%.  La partie la plus riche se situe à la Gara centrale . Par ailleurs, les données analytiques montrent une évolution en enveloppes successives, la plus interne étant la plus riche mais également la moins phosphatée (in G. Matheron 1955).

Il faut noter que ce sont là des données minimales car ne sont pas prises en compte les réserves souterraines non encore explorées. C’est un minerai de fer (Fe2O3=79,4%= Fer-métal 55,6 % ) phosphoreux (P2O5=1,38% soit 0,6% de Phosphore) et accessoirement titanifère (TiO2:0,17%) et vanadifère (V2O5 :0,08%) qui peuvent donc être coproduits avec le fer.

La plupart des gisements de Titane et de Vanadium dans le monde sont associés au Fer à des teneurs proches. Mais à l’inverse de Bayan Obo gisement chinois de Terres rares et de fer, Gara Djebilet est anormalement appauvri en Terres rares, à peine 0,0144%, 6 fois moins que la moyenne de la croûte terrestre. Enfin, les travaux de Ch. Courtois (1973) montrent qu’il existe une différenciation minéralogique dans le minerai de ce gisement allant d’un faciès très enrichi en magnétite à un faciès très enrichi en hématite..

De ces variétés minéralogiques  on constate que : 1) plus le minerai est riche plus il est magnétitique et plus il est pauvre en chaux apatitique, donc en phosphore. 2) Que le minerai est enrichissable par voie magnétique. Sur le plan pétrographique et textural, le minerai est oolithique, c’est à dire constitué d’un nucléus de quartz ou d’apatite (minéral phosphaté) enveloppés de plusieurs couches d’oxydes de fer. La taille d’un oolithe est de l’ordre de 50 microns (µ), son nucléus d’environ 10µ.

Valorisation du minerai de Gara Djebilet.

Le phosphore est appelé poison du fer car il le rend cassant. Pourtant toute l’industrialisation de l’Europe occidentale de la fin des XIXème et XXème siècles est basée sur la sidérurgie d’un minerai de fer de teneur médiocre (30%) et phosphoreux (1,8% P2O5) et réputé oolithique.

Il est épuré grâce à un procédé sidérurgique inventé en 1877 dit procédé Thomas et les scories phosphorées séparées des coulées de métal sont valorisées comme engrais. La question qui se pose alors, pourquoi le fer lorrain et pas le fer de Gara Djebilet qui a des contenus phosphorés équivalents ? La réponse est d’ordre topologique, textural, la minette de Lorraine est constituée de fausses oolithes, en vérité des pellets c’est à dire des micro-déjections de vers arénicoles.

Dès lors le phosphore est réparti de façon homogène et non concentré dans un nucléus. Pour atteindre le phosphore et l’éliminer par voie chimique (lixiviation) cette texture à nucléus impose un broyage très poussé à 10µ, une farine coûteuse.  Cette opération a un coût : 21€/tonne de minerai.

La suite de cette opération consiste à évacuer le phosphore  par lixiviation acide. Il s’agit de solubiliser l’apatite (phosphate) présente suivant une équation chimique élémentaire. Pour simplifier, disons que pour réaliser cette opération sur la poudre de minerai micronisé, il faut alors 37 kg d’acide sulfurique pur  pour déphosphorer 1 tonne de minerai à 1,8% de P2O5 (phosphate).

Cet acide a également un coût. Quoiqu’il en soit, il y a un surcoût pour lixiviation.  Les autres surcoûts engendrés par l’exploitation de Gara Djebilet relèvent de la distance de transport (1600 km) par train minéralier ou par pipe (minéroduc), l’amené d’énergie, électricité ou hydrocarbures, l’alimentation en eau des chantiers et installations sachant qu’il n’y a que 2 sources dans la région avec un maigre débit : 5m3/jour pour Aouinet Legraa et 0,5m3/j pour la source de Gara Djebilet, juste de quoi abreuver les troupeaux de chameaux. Au final le prix à la tonne du minerai importé, titrant 65% de fer qui est de  73,4$/t est doublé ou davantage par les surcoûts engendrés par l’exploitation de Gara Djebilet.

Il faut signaler, par ailleurs, qu’il existe de beaux gisements de magnétite-hématite non phosphorés, plus proches des réserves d’eau du Continental intercalaire et d’Hydrocarbures (Tin Fouyé Tanbankort) et moins éloignés de la côte nord algérienne (1100 km) c’est le cas d’Ihedane Cependant, si pour des raisons politiques qui nous échappent la valorisation du gisement constitue un objectif incontournable, il existe une solution sidérurgique qui accepte du minerai passablement phosphoré cru (brut, sans traitement minéralurgique) : le procédé Strategic Udy.

Et qui n’a jamais été testée pour le minerai de Gara Djebilet. Il accepte des minerais crus, phosphoreux jusqu’à une certaine limite en Phosphore fixée à 0,8% .Inventé dans les années 50 du siècle dernier, pour convertir une variété de nuances et de types de minerais de fer en acier semi-raffiné , En utilisant ce nouveau procédé, Udy a pu contourner à la fois le haut fourneau, le four à coke et le , traditionnellement utilisé à cette fin.

 Le procédé Strategic Udy

Le procédé consiste en un mélange de minerai, castine (calcaire) et charbon, de granulométrie de 6 à 10 mm, qui est introduit de façon continue dans le four tournant chauffé en partie par les gaz à forte teneur en CO qui se dégagent du four électrique. Le minerai y subit une pré-réduction, un grillage et un chauffage poussé et le charbon, une semi-cokéfaction. Les produits obtenus sont déversés dans la zone de fusion au moyen de trémies calorifugées. Le procédé  nécessite une installation de préparation des matières premières : concassage et criblage, un four tournant pour une pré-réduction et un four électrique pour réduction finale. Le réducteur est du charbon (lignite à anthracite).

La teneur en fer du minerai peut être faible, jusqu’à 33% métal. Le fer traité peut être  : a) ordinaire, b) de recyclage, c) latéritique, d) titanifère, e) sulfureux (jusqu’à 1% de S), ou f) phosphoreux (jusqu’à 0,8% de P), La température dans le four tournant est à moins de 1100°C.

La réduction complète et la fusion avec ajout éventuel de charbon cokéfié se réalise dans un four à arc. Le métal liquide est une fonte ou semi acier car la teneur en carbone est de 4 à 0,6%. Enfin le procédé est possible dans des unités de faible production (300t/j).

Il nous semble que ce procédé UDY peut répondre aux problèmes du grand gisement de fer de Gara Djebilet en prenant comme base les analyses de G. Matheron (1955) qui fixe des  teneurs moyennes de Fer-métal de 55,6% et Phosphore de 0,6%, basées un nombre très élevé d’échantillons.

La lixiviation acide proposée par divers opérateurs et retenue comme solution sidérurgique par notre pays présente un  coût technologique et financier trop élevé.  Notons enfin que les minerais très phosphorés peuvent être utilisés comme ajouts cimentiers ce qui permet de trouver un débouché aux minerais de fer phosphoreux du Paléozoïque saharien.

M. Nacereddine Kazi Tani est Docteur d’Etat es Sciences, ancien responsable de l’Exploration de l’Algérie du Nord et de l’Off-shore méditerranéen, ancien professeur des universités (Algérie et France), Directeur-fondateur du Centre national de recherches et d’Applications des Géosciences et Directeur du bureau d’études Géoressources (Pau France)

 

 

Nadir K

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