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«La sécheresse et la Covid ne sont que des subterfuges» (Akli Moussouni, expert agronome)

Dans le présent entretien, l’expert en agronomie et directeur des programmes du cabinet SIMDE, souligne l’urgence d’un changement radical de la politique agricole actuelle en Algérie. Il considère que cela doit passer par une restructuration du ministère de l’Agriculture et de toutes les branches professionnelles. Par ailleurs, M. Moussouni déplore l’absence d’une véritable politique de l’eau pour parer aux sécheresses à répétition que connait le pays depuis des années. Pour ce qui est des chambres froides, il considère que le problème est surtout lié aux volumes d’importation de plus en plus importants au moment où notre agriculture se fait que reculer.

Entretien réalisé par Nassima Benarab

Crésus : L’année agricole 2020/2021 s’annonce difficile en raison du déficit en pluviométrie. Des observateurs s’alarment. Qu’en pensez-vous ?

Akli Moussouni : La situation économique s’annonce difficile pour tous les secteurs du fait qu’ils dépendent tous, soit des intrants d’importation, soit de la commande de l’Etat, pour qui l’essentiel des efforts engagés ont pour objectif de satisfaire la demande du citoyen de tous points de vue. Nous disposons d’une économie intégralement liée aux recettes en devises générées totalement par l’exportation des hydrocarbures et de la monnaie nationale prévenant dans une grande part de la fiscalité pétrolière.

L’agriculture, en l’absence de politique agricole qui puisse l’encadrer pour produire des richesses, est devenue elle-même une charge pour l’Etat. Les subventions qui lui sont accordées sont indirectement destinées aux productions étrangères. Pour aider le consommateur à accéder à l’alimentation (céréales, lait, huiles…et autres), l’Etat le soutient à raison de 500 dinars environ pour consommer chaque dollar importé en produits alimentaires. Devant une telle situation, il n’y a aucune solution en dehors d’un changement radical de la politique agricole actuelle, à commencer par la restructuration du ministère de l’agriculture et de toutes les branches professionnelles.

Quelle lecture faites-vous de la mesure annoncée dernièrement par les pouvoirs publics pour faire face à la sécheresse ? 

L’Algérie se situe dans une région semi-aride. En plus, depuis une cinquantaine d’années, le climat tend à se réchauffer de plus en plus. Ces dernières années, le changement climatique est perceptible. En principe, les pouvoirs publics, pour anticiper sur ces périodes de sécheresse qui se sont succédé depuis une quinzaine d’années, ils devraient engager une politique de l’eau non seulement pour limiter le gaspillage mais aussi pour utiliser rationnellement cette substance vitale. En plus, dans l’agriculture, l’anarchie dans le fonçage des puits est dramatique puisque des nappes entières ont été infectées par le sel et le sol, notamment dans les régions des Hauts plateaux et sahariennes.

On ne peut pas agir du jour au lendemain à travers des mesures décidées spontanément, à l’aveuglette, puisqu’il n’y eu aucune expertise de l’Etat des lieux. Lesquelles mesures ne peuvent être que contreproductive sinon insignifiantes. Encore une fois, les dernières pluies vont faire oublier les choses, en attendant le retour de cette sècheresse.

De hauts responsables de l’Etat soutiennent que le secteur de l’agriculture fait partie de ceux qui termineront l’année sur de bonnes performances.  Etes-vous de cet avis ?

On ne voit pas où en est cette performance, à l’échelle macro-économique dès lors que les importations continuent d’augmenter en particulier par rapport aux produits de large consommation, que les tentatives d’exportation des quelques containers ont essuyé un échec, que le gaspillage des produits agricoles ne finit pas de se reproduire, que les prix des produits sont instables et parfois, ils sont démesurés comme c’est le cas pour l’ail. Il n’y a pas lieu d’en faire de la sécheresse et de la pandémie de la Covid-19 des subterfuges pour justifier l’amateurisme avec lequel on gère un secteur qui relève de la souveraineté alimentaire du pays.

Chaque année, nous constatons une volatilité des produits agricoles. Durant les deux derniers mois, ils ont carrément tripé. Comment expliquez-vous ces augmentations anarchiques ?  

Il y a eu toujours des hausses et de l’abondant des productions dans les champs. Cette situation est due à l’absence totale de la planification des productions qui ne peut se faire lorsque les agriculteurs interviennent en agrégats dispersé sans visibilité commerciale.  On est en train de continuer dans les même erreurs en construisant des marchés de gros qui fonctionnement exactement comme ceux qui existent déjà. Cette manière de faire a été abandonnée de par le monde, sachant qu’elle ne s’inscrit dans aucun modèle de distribution. Comme pour l’investissement, on attribue des terres sans objectifs précis et on les récupère pour les réattribuer de la même manière. On ne finit pas de retourner à la case de départ.   Dans ces conditions, les prix demeurent incontrôlables du point de vue maitrise du marché.

Quelles sont les filières agricoles les plus productives ? Quelles sont, selon vous, celles à prendre en charge en priorité ? 

Les créneaux performants sont ceux qui incarnent un avantage comparatif par rapport aux produits d’importation. Il est vrai qu’il faut accorder la priorité, dans la mesure du possible, à ceux qui alourdissent la facture des importations. Toutefois, cette vision doit être fondée sur une politique de nutrition qu’il y a lieu de mettre pour faire évoluer le culinaire algérien dont l’aberration consiste à consommer par exemple 145 litres par habitant (117,7 Kg moyenne mondiale) de produits laitiers, 251 Kg  de céréales (moyenne mondiale 152 Kg),  Sucre 30 Kg par habitant, 3 fois la quantité recommandée par l’organisation mondiale de la santé !

Nous importons par exemple pour 25 millions de dollars du petit pois surgelé, un produit qu’on peut cultiver sur les «trottoirs». L’économie n’est pas une question de priorités, mais d’objectivité. On n’est pas obligé de produire tout ce qu’on importe mais de produire pour équilibrer en priorité la balance des importations par rapport aux exportations, en dehors des hydrocarbures. Les accords d’associations avec l’Europe, avec les marchés arabe et africains sont des opportunités à saisir mais à la seule condition de travailler pour produire compétitif pour un marché normalisé. C’est le grand chantier à entreprendre pour faire sortir le pays de ce cercle infernal de dépendance des productions extérieures avec le subventionnement de l’Etat algérien.

Durant cette crise sanitaire, le problème de stockage des produits agricoles frais a refait surface, en ce qui concerne notamment la filière des dattes. Cette-ci a enregistré un manque à gagner très important. Où se situe la faille, selon vous ?    

Actuellement, la plupart des chambres froides, réalisées dans le cadre du programme national de développement de l’agriculture (PNDA), ne sont pas opérationnelles. D’un autre côté, on conçoit faussement que le problème réside dans le stockage. Dans le cas des céréales, on importe en même temps que la campagne moisson-battage et on se dit qu’on a tellement produit mais qu’on ne dispose pas de structure de stockage.

L’Algérie dispose d’une capacité de stockage qui ne dépasserait pas trois millions de tonnes, alors qu’on produit à peine la moitié. Le problème de stockage est surtout lié aux volumes d’importation de plus en plus importants du fait que notre agriculture est en dégringolade continue. On sème chaque année sur les mêmes terres, qu’on ne fertilise même pas. Ajoutons à cela l’archaïsme de nos pratiques culturales et les capacités très limitées de fellahs de tous points de vue.

N. B.

Nadir K

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