Le blues des émigrés
Ils n’en peuvent plus. Nos émigrés râlent, pestent, fulminent. Cette année, ils ont tous été privés du bled. Sur les réseaux sociaux, dans les familles, au travail, quand ils se retrouvent, une question lancinante s’impose : à quand l’ouverture des frontières et la reprise des vols vers le pays ? Mais il leur faudra encore patienter…
Au Canada ou en Europe, ils sont des millions d’Algériens de notre diaspora à attendre impatiemment le retour à la normale. L’été dernier, lors des grandes vacances scolaires, point d’avions et interdiction de se rendre en Algérie, comme d’en sortir. Le coronavirus se répand à travers le monde et tue des milliers de personnes au quotidien. L’Algérie est plutôt épargnée à ce moment, excepté des clusters tels celui de Blida où le confinement a pu limiter les dégâts. Il n’est donc pas question de se risquer à des flux de passagers des pays à forte contamination vers l’Algérie. Tout le monde le sait, le comprend, mais le blues s’installe.
Une diaspora fidèle
Il faut dire que c’est une particularité bien algérienne. Chaque année, les nationaux vivant à l’étranger ont l’habitude de rentrer au pays pour y vivre pleinement leur «algérianité» au sein de la famille élargie, du douar ou du quartier. Cuisine traditionnelle arrosée de la légendaire boisson Sélecto, courses dans les souks, balades à travers les wilayas vers les hammams ou les sites naturels, plages et, enfin, le rendez-vous régulier des fêtes, cérémonies de mariage, circoncisions… Les émigrés ont leur programme : vivre la vie du terroir le temps de leur séjour. Dépaysement ou plutôt ressourcement après de longs mois d’exil. Quel que soit leur niveau de vie, salariés financièrement à l’aise ou travailleurs précaires dans un conteste économique de plus en plus difficile, chez les pays d’accueil, la plupart des ressortissants algériens installés à l’étranger reviennent en Algérie régulièrement et consentent au sacrifice de la dépense pour le voyage et les cadeaux inévitables. En échange, ils retrouvent leur famille, leurs repères culturels, leur patelin chéri. Ils retrouvent l’Algérie, «leur patrie, malgré tout et avant tout !»
Clandestino…
L’année dernière, avec son lot de malheurs liés à la pandémie de Covid-19, a cassé le rituel. Aucun vol depuis le mois de mars dernier, hormis ceux réservés au rapatriement des résidents en Algérie. Les émigrés attendent, patientent et puis se plaignent, râlent, rouspètent. Certains s’associent pour réclamer l’ouverture des frontières, des députés ou des représentants de la communauté lancent des appels aux autorités algériennes. Mais la priorité est à la lutte contre la pandémie. Impossible de prendre pareil risque alors que la deuxième vague de contamination a touché la France et d’autres pays à forte densité d’Algériens susceptibles de voyager vers leur pays. Confinement à l’étranger et impossibilité de revoir la famille, de rentrer au pays en plus de difficultés financières chez beaucoup de nos compatriotes concernés par la récession économique due à la Covid-19, comme c’est le cas en Algérie. Une situation qui perdure alors que l’année s’achève et que, pour l’instant, personne ne peut envisager un retour à la normale. Pour les plus téméraires, dont des ressortissants émigrés qui ont perdu un proche en Algérie ou qui sont obligés de rentrer au pays pour un autre motif, le passage par la Tunisie a été, un temps, la filière clandestine à environ 1.500 euros le franchissement de la frontière terrestre. On a malheureusement trop souvent rapporté le drame des harraga qui traversent la Méditerranée sur des embarcations de fortune pour migrer vers l’Europe. La Covid-19 nous aura fait découvrir l’audace en sens inverse. Contre le blues des émigrés pour l’amour du pays.
Nordine Mzala