Marco Sassòli, conseiller à la Cour pénale Internationale, à «Crésus»
Professeur de droit international au Canada et actuellement en Suisse, directeur de l’Académie de droit international humanitaire et de droits humains à Genève jusqu’à 2016, Marco Sassòli porte un regard de juriste averti sur les contentieux internationaux, sans obédience politique mais sans fausse complaisance non plus. Il a bien voulu répondre à nos questions au sujet du fait colonial au Sahara occidental et la crise qui prévaut ces derniers jours à El Guerguerat. Entretien…
Crésus : Marco Sassòli, pourquoi après tant d’années d’exactions policières et militaires subies par le peuple sahraoui sous l’occupation marocaine, le royaume chérifien n’a-t-il jamais été inquiété par les instances internationales, notamment la Cour pénale internationale avec laquelle vous collaborez ?
Marco Sassòli : En ce qui concerne les violations du droit international humanitaire, qui s’applique aux parties du Sahara occidental occupées par le Maroc et aux hostilités qui ont récemment repris, tous les Etats parties aux Conventions de Genève de 1949 devraient effectivement faire respecter ses règles par le Maroc, comme par toute autre partie à un conflit armé. La Cour pénale internationale n’est malheureusement pas compétente, car elle ne peut enquêter que sur des crimes commis sur le territoire ou par des ressortissants d’un Etat partie à son statut (en droit international public, un traité ne donne des droits et des obligations qu’à des Etats parties à ce traité ; seuls ces Etats ont donné à la Cour la compétence de connaître de crimes commis sur leur territoire ou sur leurs ressortissants, NDLR). Le Maroc n’est pas partie à son statut, tout comme la RASD et l’Algérie ne sont pas parties.
On ne comprend pas non plus ce qui a empêché l’ONU de confier à la MINURSO, chargée de l’organisation du référendum, une autre mission essentielle concernant la protection des droits de l’Homme dans les territoires occupés…
Je ne comprends pas non plus. C’est le Conseil de sécurité qui confie ces mandats et le Maroc a des protecteurs importants au sein de ce Conseil.
En ce moment, on assiste à un retour à la guerre depuis l’agression des Forces royales contre des civils dans le périmètre d’El Guerguerat, mais la communauté internationale n’a dépêché aucun observateur ni médiateur. Point d’aide humanitaire non plus… Le Sahara occidental, une crise ignorée ?
C’est effectivement un des nombreux conflits armés qui durent de plus en plus longuement parce que la communauté internationale n’a pas la volonté d’imposer des solutions. Il a maintenant repris, comme il y a un mois le conflit autour du Nagorno-Karabakh. On ne peut pas laisser des conflits gelés pendant des décennies ; ils reprennent, et il n’y a pas de solution ni perspective pour les victimes, en l’occurrence les réfugiés sahraouis, qui risquent de reprendre dans leur désespoir les armes.
Pourtant, les résolutions onusiennes lui reconnaissent le statut de territoire non autonome et, par conséquent, la dimension coloniale de la présence marocaine…
La Cour internationale de justice a effectivement constaté que le Sahara occidental ne fait pas partie du Maroc et que le peuple sahraoui a un droit à l’autodétermination, mais il n’a toujours pas pu l’exercer.
Qui bloque l’organisation du référendum pour l’autodétermination depuis tant d’années, selon vous ?
Le Maroc, qui craint que le peuple choisisse l’indépendance et joue sur la controverse de qui peut participer à ce référendum – ce qui devient effectivement toujours plus difficile à déterminer, plus les années passent.
En attendant, les richesses naturelles sont pillées et la répression des populations civiles est permanente, jusqu’à cette riposte en cours de l’APLS, l’armée sahraouie. On dit que la France, sponsor du plan d’autonomie rejeté par les Sahraouis, serait derrière l’impunité marocaine. Qu’en pensez-vous ?
Une puissance occupante a effectivement uniquement l’usufruit des ressources naturelles d’un territoire occupé. Je ne suis pas sûr que l’APLS améliorera le sort des Sahraouis sous occupation marocaine. Quant à la France, en tant qu’Etat partie aux Conventions de Genève, elle devrait les faire respecter. Les Sahraouis peuvent choisir l’autonomie, mais la France ne peut pas leur imposer cette solution. C’est une des issues possibles de l’exercice, par le peuple sahraoui, du droit à l’autodétermination. La France est membre de l’Union européenne et la Cour de justice de l’UE a réaffirmé que le Sahara occidental ne faisait pas partie du Maroc.
La guerre qui vient de reprendre entre la résistance armée sahraouie et les forces royales marocaines pourrait déstabiliser la sous-région déjà infestée de groupes terroristes…
Oui, malheureusement.
Croyez-vous à la décolonisation prochaine du Sahara occidental ?
Le droit international l’exige et il a une longue haleine. D’autres décolonisations ont également mis beaucoup de temps pour aboutir. Mais, en attendant, la population affectée souffre. Personnellement, je ne crois pas que l’usage de la force accélérera une solution.
Entretien réalisé par Nordine Mzala