Sous les lustres étincelants du centre BEXCO, une effervescence inhabituelle règne. Des drapeaux de 100 nations claquent au rythme des discours, tandis que des hologrammes de récifs coralliens rappellent l’urgence de la cause.
Synthèse Samir MÉHALLA
Ce lundi s’ouvre à Busan, Corée, la 10e édition de la conférence «Our Ocean» (OOC), un forum devenu incontournable pour la protection des mers. Réunissant dirigeants politiques, scientifiques, jeunes activistes et représentants autochtones, l’événement se veut à la fois le bilan d’une décennie d’actions et un cri d’alarme face à l’accélération des crises océaniques.
Busan, métropole portuaire frappée en 2022 par une marée noire sans précédent, n’a pas été choisie au hasard. «Cette ville incarne la dualité de notre rapport à l’océan : elle dépend de lui pour son économie, mais subit aussi ses colères», explique Lee Soo-min, une biologiste marine sud-coréenne dont l’équipe a restauré 30 hectares de mangroves locales après la catastrophe. Son histoire, comme celle des pêcheurs de l’île voisine de Jeju – dont les prises ont augmenté de 40% grâce à des zones de pêche régulées –, illustre l’impact concret des politiques discutées ici.
Bilan d’une décennie : 2 600 engagements et des progrès inégaux
Depuis sa création en 2014 à l’initiative des États-Unis, la conférence Our Ocean a généré plus de 2 600 engagements, dont près de la moitié des aires marines protégées (AMP) actuelles. Le rapport du «World Resources Institute» révèle que 133 milliards de dollars sur les 160 promis ont été débloqués.
Parmi les succès phares : le «Traité sur la haute mer», ratifié par 21 pays dont récemment la Corée du Sud, et la réduction de 30% des filets fantômes en Méditerranée grâce à un fonds européen annoncé lors de l’édition 2023 en Grèce.
Pourtant, des zones d’ombre persistent. Seulement 8% des engagements liés à la pollution plastique ont été intégralement financés. «Les promesses ne suffisent plus. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, mon peuple voit les coraux blanchir chaque année, malgré les discours», déplore Ato Bolden, chef autochtone présent à Busan.
«L’océan est notre meilleur allié climatique, mais nous le traitons en ennemi», résume Tom Pickerell du «World Resources Institute». Les chiffres parlent : les mers absorbent 90% de l’excès de chaleur terrestre et 30% du CO2 émis, mais leur température a augmenté de 1,5°C depuis 1900, entraînant la disparition de 50% des récifs coralliens.
Les solutions ? Les discussions insistent sur l’«économie bleue». Exemple : le projet «Blue Carbon» en Indonésie, où 10 000 hectares de palétuviers plantés depuis 2020 stockent autant de CO2 que 500 000 voitures en un an. «Ces initiatives locales doivent devenir globales», insiste Maria Santos, jeune militante philippine, dont le plaidoyer a convaincu son gouvernement de tripler les AMP.
2025-2035 : La course contre la montre
Pour atteindre les objectifs climatiques, les mers devraient fournir 35% des réductions d’émissions d’ici 2050. Mais cela nécessitera 2 000 milliards de dollars d’investissements d’ici 2045. Les débats à Busan soulignent l’urgence d’inclure les régions marginalisées. «L’Afrique ne représente que 2% des financements océaniques, alors que ses côtes sont parmi plus vulnérables», rappelle Kwame Adjoumani, ministre ghanéen de l’Environnement.
La conférence de Nice en juin prochain, où le traité sur la Haute Mer pourrait entrer en vigueur, est dans tous les esprits. «Nous devons agir avant que l’océan ne devienne un champ de ruines», lance Inger Andersen, directrice du PNUE, citant l’effondrement des stocks de thon rouge en Atlantique Nord – un drame évité in extremis en 2022 grâce à un moratoire signé lors de l’OOC 2021.
Appel à l’audace !
Alors que les délégués se quittent sur une standing ovation pour la chorale d’enfants de Busan interprétant «Ocean’s Requiem», une question persiste : les engagements tiendront-ils face à l’appétit des industries extractives ? «La mer n’a pas de frontières. Si nous échouons, aucune nation ne sera épargnée», conclut Do-hyung Kang, ministre coréen de la Mer.
Notes éditoriales :
– La conférence «Our Ocean» a été lancée en 2014 par John Kerry, alors secrétaire d’État américain.
– Prochaine étape : la Conférence de l’ONU sur l’océan à Nice (France), du 15 au 20 juin 2025.
– 90% des pays insulaires du Pacifique ont interdit les plastiques à usage unique depuis 2023, une mesure promue lors de l’OOC 2024.
S.M.