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Laala Boukhalfa, analyste en agroalimentaire à Crésus : «L’avenir de l’agriculture passe par une nouvelle gouvernance»

   L’agriculture en Algérie traverse une période charnière, marquée par des initiatives ambitieuses. Ce secteur stratégique, vital pour l’économie et la sécurité alimentaire, fait face à des défis majeurs mais également à de nouvelles opportunités. Les enjeux sont nombreux et complexes. Dans cet entretien, Laala Boukhalfa, analyste en agroalimentaire, nous fait part de son expertise sur l’évolution du secteur agricole, ses défis actuels et ses opportunités.

 

Entretien réalisé par Islam K.

 

Crésus : Pourriez-vous nous parler des principales évolutions récentes dans le secteur agricole en Algérie ? Et comment le secteur s’adapte-t-il face aux défis tels que les changements climatiques et la gestion des ressources en eau ?

Laala Boukhalfa : L’agriculture en Algérie n’est pas une nouveauté. L’Algérie, qu’on peut presque considérer comme un continent vu sa taille – le plus grand pays d’Afrique et du monde arabe – a toujours eu une vocation agricole forte. Historiquement, elle était réputée notamment pour sa production de blé dur. Cependant, à une certaine époque, ce secteur vital a été marginalisé, perdant de son importance stratégique.

Aujourd’hui, nous assistons à un véritable retour aux sources. Le gouvernement a remis l’agriculture au cœur des priorités nationales. C’est une volonté politique claire, qui se manifeste par une série de mesures concrètes.

Concernant les défis liés au changement climatique, il faut préciser que l’Algérie dispose de ressources considérables. Nous avons un bon potentiel en eaux souterraines et en infrastructures hydrauliques, notamment des barrages. Si l’Est et le Centre du pays ne rencontrent pas de problèmes majeurs d’approvisionnement en eau, l’Ouest a connu une certaine sécheresse. Néanmoins, les mesures prises, comme l’interconnexion des barrages et la mise en place de 270 stations d’épuration des eaux usées – capables de traiter jusqu’à un milliard de mètres cubes – offrent des solutions viables. Cette eau est entièrement destinée à l’agriculture, ce qui représente un atout majeur pour notre développement agricole.

 

La diversification des cultures et des produits agricoles est souvent mentionnée comme un enjeu majeur. Selon vous, quelles cultures représentent un fort potentiel de développement pour l’Algérie ?

Effectivement, il s’agit avant tout de redonner de l’importance à des filières qui ont été négligées, en particulier les cultures céréalières. À une certaine époque, l’Algérie s’est tournée massivement vers les importations : jusqu’à 80% de nos besoins en céréales étaient couverts par l’étranger, tandis que la production locale ne représentait même pas 20%.

Pourtant, l’Algérie a toujours été connue comme un grand producteur de blé dur. Aujourd’hui, on assiste à une véritable relance de cette filière, avec pour objectif clair de réduire, voire d’éliminer complètement, notre dépendance aux importations. Le blé dur et l’orge sont désormais au centre des priorités.

Le gouvernement a également lancé une dynamique dans le Grand Sud, où des terres sont mises à disposition d’investisseurs nationaux et étrangers dans le cadre de partenariats. Une condition leur est imposée : cultiver des céréales et des oléagineux, c’est-à-dire des produits que nous importons encore massivement. L’objectif est double : assurer notre sécurité alimentaire et alléger la facture des importations.

D’ailleurs, dès cette année, nous prévoyons d’atteindre l’autosuffisance en blé dur, ce qui permettrait de stopper définitivement son importation.

 

La création de banques de semences et de gènes a récemment été lancée pour préserver la biodiversité et améliorer la qualité des récoltes. Quels sont, selon vous, les enjeux et avantages de ces initiatives pour la sécurité alimentaire ?

La réussite d’une agriculture durable repose d’abord sur le respect rigoureux de l’itinéraire technique, qui commence dès la préparation des sols. À ce niveau, le semis direct s’impose de plus en plus comme une nécessité, en particulier dans le contexte climatique actuel. Le deuxième élément fondamental, c’est le choix de la semence.

Malheureusement, dans le passé, nous avons abandonné nos semences traditionnelles, adaptées à notre climat et à nos sols. Pis encore, certaines ont été volées pendant la période coloniale. On nous a imposé des semences importées, souvent non renouvelables et mal adaptées à notre environnement. Le retour à des semences locales, préservées et certifiées, est donc essentiel. C’est précisément le rôle des banques de semences et de gènes : sauvegarder notre patrimoine végétal, renforcer la résilience des cultures et garantir des rendements stables sur le long terme.

En parallèle, il faut souligner que l’Algérie possède les ressources nécessaires en intrants agricoles. Nous sommes parmi les premiers producteurs d’urée 46, grâce à nos usines de Ghazaouet et Skikda. Nous en produisons suffisamment pour couvrir nos besoins et même pour en faire don à des pays africains. L’azote est disponible en quantité, et notre produit est très demandé à l’international. De plus, avec l’exploitation du gisement de phosphate à Tébessa, nous devenons également un acteur majeur dans ce domaine. En somme, les bases sont là.

 

Comment évaluez-vous aujourd’hui la richesse animale en Algérie ? Quel est votre avis sur la récente décision d’importer un million de moutons pour l’Aïd El-Adha ?

Pour dresser un tableau clair, il faut distinguer entre les différentes filières animales. L’aviculture contribue à la production de viandes blanches, tandis que les élevages bovins et ovins assurent les viandes rouges.

Concernant l’aviculture, il faut rappeler qu’après l’indépendance, nous partions quasiment de zéro. Pourtant, dès les années 1990, nous avons atteint l’autosuffisance. L’Algérie est même l’un des rares pays à disposer de lignées de grands parentaux. Malheureusement, depuis les années 2000, une gestion anarchique s’est installée, avec un manque de contrôle et de suivi. Le problème aujourd’hui est surtout une mauvaise organisation du marché. Pourtant, nous avons la capacité de produire jusqu’à un million de tonnes par an, alors que nos besoins ne dépassent pas 600 000 tonnes. Il faut juste remettre de l’ordre.

Côté viandes rouges, nous étions autrefois un pays exportateur. Nous avons même une race locale de mouton, la Deghma, considérée comme l’une des meilleures, mais qui est aujourd’hui en voie de disparition à cause de son abandon.

Quant à l’importation d’un million de têtes de moutons pour l’Aïd, je considère cela comme une décision courageuse et bénéfique. Cela permet de réguler le marché, de faire baisser les prix — qui se situent autour de 50.000 DA le mouton — et donc de rendre l’achat accessible à une large frange de la population. C’est une mesure qui aura un impact social direct.

Enfin, quels sont, selon vous, les principaux défis à long terme que l’agriculture algérienne devra relever, notamment en matière de durabilité et de sécurité alimentaire ?

L’Algérie a tout pour réussir. Nous avons les terres, les ressources hydriques, le savoir-faire, les marchés. Ce qu’il faut maintenant, c’est que ces moyens soient mis entre les mains des véritables travailleurs. Dans le passé, beaucoup d’opportunistes ont profité des aides sans exploiter réellement les terres qui leur étaient confiées.

L’avenir passe par une nouvelle gouvernance, où la terre revient à ceux qui la travaillent. Si cela se concrétise, je n’ai aucun doute que l’Algérie deviendra un véritable pôle agricole d’excellence, capable de rivaliser avec les plus grandes nations agricoles.

I.K.

Islam K

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