L’université Harvard a officiellement rejeté ce lundi une proposition de compromis avec l’administration Trump, deux semaines après que le gouvernement américain ait menacé de suspendre près de 9 milliards de dollars de financements fédéraux.
Par Samir MÉHALLA
Dans un communiqué ferme, l’institution Ivy League a dénoncé des exigences fédérales qui, selon elle, outrepassent la mission éducative des universités et risquent de saper leur indépendance académique.
Le conflit remonte à une enquête du Département de l’Éducation (DoE) sur la gestion par Harvard des incidents antisémites sur son campus, dans le sillage de la guerre contre Ghaza.
Fin mars, l’administration Trump a adressé une série de «demandes correctives» à l’université, assorties d’un ultimatum : se plier aux conditions ou voir ses subventions fédérales – vitales pour la recherche et les bourses étudiantes – gelées.
Parmi ces exigences figuraient :
– Le renforcement des sanctions contre les discours antisémites, y compris dans les manifestations étudiantes.
– La modification des codes de conduite pour inclure une définition élargie de l’antisémitisme, calquée sur celle de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA).
– Un droit de regard accru du gouvernement sur les programmes d’études et les nominations professorales, jugées «biaisées» par certains élus républicains.
Harvard dénonce une ingérence inédite
Si l’université affirme partager l’objectif de lutte contre l’antisémitisme, elle rejette catégoriquement la méthode. «La majorité de ces exigences constituent une régulation directe des «conditions intellectuelles» à Harvard», peut-on lire dans sa déclaration. Une formulation qui soulève une question fondamentale : jusqu’où le gouvernement peut-il intervenir dans la liberté académique ?
Pour Laurence Tribe, professeur émérite de droit constitutionnel à Harvard, «cette escalade dépasse le cadre de la lutte contre les discriminations. C’est une tentative de transformer les universités en relais idéologiques du pouvoir en place». Une crainte partagée par l’American Civil Liberties Union (ACLU), qui a apporté son soutien à Harvard.
Les subventions fédérales représentent environ 10% du budget annuel de Harvard (50 milliards de dollars en 2024). Leur suppression affecterait principalement les laboratoires de recherche et les étudiants boursiers. Mais pour l’administration Trump, l’enjeu est aussi symbolique : elle accuse depuis des mois les élites universitaires de promouvoir un «wokisme» anti-américain.
En 2023, une décision de la Cour suprême a déjà invalidé les politiques de discrimination positive (affirmative action) à Harvard, sous l’impulsion de groupes conservateurs. Le nouveau litige pourrait aboutir à un autre recours judiciaire, cette fois sur la limite entre régulation légitime et censure.
Réactions politiques et académiques
La droite conservatrice salue la fermeté du gouvernement. «Les contribuables ne doivent pas financer des institutions qui tolèrent la haine», a tweeté la représentante Elise Stefanik (R-NY), figure clé des auditions sur l’antisémitisme au Congrès. À l’inverse, la Fédération américaine des professeurs d’université (AAUP) dénonce «une chasse aux sorcières».
Du côté des étudiants, les avis divergent. «Certains incidents antisémites ont été minimisés, mais la solution n’est pas de politiser l’éducation», estime Jacob Miller, président d’un groupe d’étudiants juifs de Harvard.
Et maintenant ?
Le DoE n’a pas encore annoncé de sanctions, mais une bataille juridique semble inévitable. Harvard, dotée d’une dotation colossale, pourrait résister financièrement – contrairement à de petits établissements. Reste que ce conflit relance le débat sur l’équilibre entre sécurité des minorités, liberté d’expression et autonomie des universités. Un débat loin d’être typiquement américain : en France, Sciences Po a récemment été épinglé pour des cas similaires.
S.M.