Ce mardi, deux affaires révèlent la montée en puissance d’une même logique répressive et diffamatoire, portée par les franges les plus réactionnaires du paysage politique et médiatique français.
Par Samir MÉHALLA
D’un côté, le magazine Frontières — héritier direct du «Livre Noir» d’Éric Zemmour — publie une «enquête» infamante ciblant les collaborateurs et collaboratrices de La France insoumise (LFI) dont des Franco-Algériens, les désignant comme «le parti de l’étranger».
De l’autre, le Conseil d’État valide l’expulsion de l’influenceur algérien Boualem N. (« Doualemn »), malgré quinze ans de séjour régulier en France, au motif de «propos isolés».
Deux événements apparemment distincts, mais qui s’inscrivent dans une même mécanique : la construction d’ennemis intérieurs, ciblés pour servir une narration xénophobe et autoritaire.
«Frontières», ou l’extrême-droite en mode chasse aux sorcières
Le dossier de «Frontières» — dont la ligne éditoriale puise ouvertement dans l’imaginaire pétainiste de «l’anti-France» — franchit une nouvelle ligne rouge en publiant des données personnelles (noms, photos, lieux de travail) de dizaines de collaborateurs parlementaires de LFI. Sous couvert de «journalisme», le magazine alimente un climat de menace, exposant ces salariés à des risques réels : harcèlement, violences physiques ou cyberattaques de la part de groupuscules d’extrême-droite.
Dans un communiqué, les syndicalistes de la CGT CP dénoncent une «méthode calomnieuse» visant des «travailleurs non publics», privés des moyens de se défendre juridiquement. Ils exigent le retrait de l’accréditation de «Frontières» à l’Assemblée nationale française, une protection fonctionnelle pour les collaborateurs menacés. Une demande urgente, alors que la banalisation de tels procédés rappelle les pires heures de la chasse aux «traîtres» sous Vichy.
Doualemn, ou l’arbitraire comme arme politique
Dans un autre registre, mais tout aussi révélateur, le rejet du référé-liberté de Boualem N. par le Conseil français d’État marque un durcissement inquiétant de la politique d’expulsion. Malgré trente-cinq ans passés en France (dont quinze en situation régulière), le prétexte de «propos isolés» — sans précision sur leur nature — a suffi à justifier son renvoi vers l’Algérie, un pays où il n’a plus de liens. Son avocate, Marie David Bellouard, dénonce une «logique xénophobe» :
«Une personne étrangère régulière pendant 15 ans peut être expulsée pour des paroles. Le ministre de l’Intérieur a désormais carte blanche pour réprimer qui il veut, quand il veut.»
Cette décision s’inscrit dans la lignée des lois sécuritaires récentes, qui transforment l’étranger en coupable idéal, et la justice en outil d’épuration politique.
Un fil conducteur : la fabrique de l’ennemi intérieur
Que ce soit par la diffamation médiatique ou la répression administrative, l’objectif est le même : désigner des boucs émissaires pour polariser le débat public. D’un côté, «Frontières» criminalise l’engagement politique en le reliant à des fantasmes de «trahison». De l’autre, l’État instrumentalise le droit des étrangers pour museler des voix critiques (Boualem N. était connu pour ses vidéos satiriques).
Cette stratégie n’est pas nouvelle : l’extrême-droite a toujours prospéré sur la peur de «l’autre» — qu’il soit immigré, militant de gauche, ou simplement dissident. Mais sa systématisation, avec la complicité de médias militants et d’institutions juridiques, ouvre une ère inquiétante : celle où la démocratie se réduit à la chasse aux indésirables.
Aujourd’hui, ce ne sont pas seulement des individus qui sont visés, mais les fondements mêmes d’un État qui se vante de droit.
S.M.