Les relations entre la France et l’Algérie traversent une nouvelle zone de turbulences après les déclarations polémiques du ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau.
Ce dernier a ouvertement critiqué l’Algérie sur plusieurs fronts, attisant ainsi des tensions diplomatiques déjà sensibles. En cause, d’une part, l’arrestation récente de l’écrivain Boualem Sansal par les autorités algériennes, que Retailleau présente comme « une atteinte aux valeurs de la francophonie » et de « la liberté d’expression ». D’autre part, la décision du maire de Béziers, Robert Ménard, de refuser un mariage entre une citoyenne française et un ressortissant algérien sous le coup d’une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF), une affaire qui divise l’opinion publique et suscite une vague de réactions politiques.
Retailleau, connu pour ses positions conservatrices et sa fermeté sur les questions migratoires, a profité de son passage dans l’émission « Le Grand Rendez-Vous » sur Europe 1 pour critiquer vivement l’approche française vis-à-vis de l’Algérie. Il accuse Paris de manquer de fermeté dans ses relations avec Alger et appelle à une révision en profondeur des accords bilatéraux, notamment l’Accord de 1968 sur la circulation et le séjour des Algériens en France. Selon lui, ces accords, établis dans un contexte différent, ne correspondent plus aux réalités actuelles et doivent être adaptés pour mieux contrôler les flux migratoires. Il évoque également la convention de 2007 sur la mobilité des diplomates, estimant qu’elle doit être renégociée pour mieux protéger les intérêts français.
Mais c’est l’affaire Robert Ménard qui semble cristalliser le débat. Le maire de Béziers, soutenu par Retailleau, est poursuivi en justice pour avoir refusé de célébrer un mariage sous prétexte que le futur époux était en situation irrégulière. Retailleau considère cette comparution comme une absurdité, dénonçant le fait qu’un maire puisse être inquiété par la justice pour avoir appliqué ce qu’il estime être du « bon sens ». Il va plus loin en appelant à une réforme législative qui interdirait le mariage entre un citoyen français et un étranger en situation irrégulière. Une proposition qui suscite l’indignation de nombreux défenseurs des droits de l’homme et spécialistes du droit civil, qui rappellent que le mariage est un droit fondamental, indépendant du statut administratif des époux.
En ce qui concerne Boualem Sansal, l’écrivain algérien connu pour ses critiques de l’Algérie, Retailleau accuse les autorités françaises de passivité face à son arrestation. Il plaide pour une réponse diplomatique plus ferme et un engagement plus clair en faveur de la francophonie. « On ne peut pas prétendre défendre la culture et la langue françaises dans le monde et rester silencieux quand un écrivain de cette envergure est arrêté pour ses idées », a-t-il déclaré. Cette prise de position intervient alors que Paris et Alger tentent, tant bien que mal, de préserver un dialogue apaisé après plusieurs épisodes de tensions diplomatiques ces dernières années.
L’Algérie, de son côté, rejette toute ingérence dans ses affaires internes et considère que la France doit respecter la souveraineté nationale. Le rappel de ces accords bilatéraux par Retailleau, notamment celui de 1968, est perçu comme une menace directe aux relations entre les deux pays. Pour Alger, toucher à ces accords signifierait remettre en cause un cadre juridique qui régit depuis des décennies la présence algérienne en France, un sujet hautement sensible sur les plans politique et social.
La position du ministre français de l’Intérieur s’inscrit dans un contexte plus large de durcissement du discours politique sur l’immigration en France. À l’approche de futures échéances électorales, Retailleau semble vouloir séduire un électorat sensible aux questions identitaires et sécuritaires, quitte à provoquer un incident diplomatique avec Alger. Son approche, qualifiée de « stratégie du bras de fer » par certains observateurs, pourrait compliquer encore davantage les relations franco-algériennes. D’autant plus que la coopération entre les deux pays reste essentielle sur plusieurs dossiers, notamment la lutte contre l’immigration clandestine, les échanges commerciaux et les enjeux de sécurité en Méditerranée.
En ravivant ces tensions par ses déclarations, Retailleau prend le risque d’entraver les efforts de dialogue engagés ces derniers mois entre Paris et Alger. Si certains de ses soutiens applaudissent son franc-parler et sa volonté de remettre en question des accords jugés obsolètes, d’autres pointent le danger d’une escalade inutile qui pourrait nuire aux intérêts des deux nations. Dans ce climat déjà tendu, la réponse d’Alger ne devrait pas tarder.
Assia M.