Évocation

L’exil du roi Béhanzin : De la résistance au bannissement

Le 10 décembre 1906, Béhanzin, dernier roi indépendant du Dahomey (actuel Bénin), s’éteignait en exil à Blida, en Algérie.

Déchu par la France coloniale après une résistance acharnée, il fut contraint de quitter sa terre natale pour un périple forcé qui le mena d’abord aux Antilles, avant d’achever sa vie loin de son royaume. Retour sur l’odyssée d’un monarque devenu symbole de la lutte contre l’impérialisme français.

 Un roi face à la conquête coloniale

Fils du roi Gléglé et de la reine Nan Akossou Mandjanou, Béhanzin, né en 1845 sous le nom de Ahokponou Nyakaja Honsinyenli, accède au trône en 1890 sous le nom de Béhanzin Aïdjéré. Dès son avènement, il doit faire face à la pression grandissante des puissances européennes, avides d’expansion en Afrique de l’Ouest.

La Conférence de Berlin (1884-1885) ayant scellé le partage du continent, la France accélère sa prise de contrôle sur le Dahomey, notamment à Ouidah et Cotonou.

En 1892, les troupes françaises, sous les ordres du colonel Alfred Dodds, lancent une offensive contre le royaume. Béhanzin mobilise une armée de 15 000 soldats, dont 4 000 guerrières amazones, mais les assauts répétés des forces coloniales et leur artillerie moderne finissent par avoir raison de la résistance dahoméenne.

Le 4 novembre 1892, l’armée du roi est décimée, et en janvier 1894, après avoir tenté en vain de négocier, Béhanzin se rend à une seule condition : être reçu en France par le président Sadi Carnot. Une demande qui restera lettre morte.

 Exil à la Martinique

Plutôt que Paris, c’est la Martinique qui devient sa prison dorée. Le 30 mars 1894, à Fort-de-France, une foule curieuse assiste à l’arrivée du roi déchu. Escorté avec sa famille et quelques fidèles, il est installé au fort Tartenson, une garnison militaire transformée en résidence surveillée. Pendant quatre ans, Béhanzin mène une vie recluse, loin du trône qu’il n’a jamais abdiqué.

En 1898, les tensions internationales, notamment la guerre hispano-américaine, obligent la France à revoir ses priorités stratégiques dans la Caraïbe. L’usage militaire du fort Tartenson imposant son évacuation, Béhanzin et sa famille sont relogés à la villa Les Bosquets, une résidence plus adaptée mais toujours sous haute surveillance.

Un long bannissement

Après douze ans d’exil aux Antilles, un nouveau départ s’impose. En avril 1906, Béhanzin quitte la Martinique pour la métropole, avant d’être transféré en Algérie, alors colonie française où il est installé à Blida, au quartier Douiret. Mais le monarque est affaibli. Malade et usé par des années de privation, il s’éteint le 10 décembre 1906, à l’âge de 61 ans, sans avoir revu le Dahomey.

Son acte de décès est enregistré à Alger, mais son corps demeure en terre étrangère. Ce n’est qu’en 1928, après 22 ans de démarches menées par ses enfants, que ses restes sont enfin rapatriés au Bénin. Un délai qui en dit long sur la crainte qu’inspirait encore son nom aux autorités coloniales.

Un héritage effacé mais indélébile

Aujourd’hui, Béhanzin est reconnu au Bénin comme l’un des plus grands héros de la résistance anti-coloniale. Pourtant, peu de traces de son passage subsistent à Blida. La demeure mauresque qui l’abrita durant huit mois est aujourd’hui abandonnée, hypothéquée par une banque privée et livrée à la ruine.

L’histoire de Béhanzin illustre la brutalité du colonialisme et la résilience des peuples opprimés. Elle rappelle surtout que l’écriture de l’histoire ne doit pas être monopolisée par ceux qui ont imposé l’exil, mais aussi racontée par ceux qui l’ont subi. Comme l’affirme un proverbe africain : “Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse ne glorifieront que le chasseur.”

  A. Malek

Rédaction

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