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Chine-Afrique : La «diplomatie du chéquier»

   Comme chaque année depuis 1991, le ministre chinois des Affaires étrangères a effectué une tournée diplomatique en janvier sur le continent africain, pièce majeure de l’influence internationale de Pékin.

 

 

 

LA STRATÉGIE CHINOISE EN AFRIQUE S’INSCRIT DANS LA DURÉE

Le cas de la Zambie est particulièrement révélateur. Ce pays d’Afrique australe grand de 750 000 km2, peuplé de 20 millions d’habitants, a une lourde dette dont 21 % sont détenus par la Chine. En 2020, ne pouvant plus rembourser, la Zambie a dû convaincre Pékin de restructurer son crédit, ce qu’elle a obtenu en échange d’une insertion massive des Chinois dans l’économie du pays. Aujourd’hui, ils contrôlent notamment les extractions de minerais, dont celles du cuivre, si précieux pour les nouvelles technologies. Dans un documentaire diffusé une chaine française concernant la présence de la Chine dans le pays, le président zambien vante les mérites des entreprises chinoises, avant d’être contredit – grand moment du documentaire – par son conseiller économique qui assume face caméra : «Nous n’avons aucun chiffresur les exportations chinoises de cuivre, c’est dingue.» Conclusion du conseiller: «Les accords sur la transparence de l’industrie minière ne sont que des mensonges!» La population zambienne voit d’un très mauvais œil l’implantation des entreprises chinoises et plusieurs manifestations antichinoises ont déjà éclaté. Pékin observe la situation avec beaucoup d’intérêt.

 

L’AFRIQUE N’EST PAS LA PRIORITÉ DE LA CHINE

Si la dette africaine est un excellent moyen pour la Chine d’implanter ses entreprises, de sécuriser ses importations de matières premières, et de s’assurer un quasi-monopole dans la production de minerais liés à la technologie, souhaite-t-elle pour autant s’emparer du continent ? Pékin laisse comprendre que non. Elle connaît les limites de l’Afrique, et ne cherche sûrement pas à reproduire les erreurs de l’Occident. Pour s’en rendre compte, il faut d’abord regarder du côté des investissements directs à l’étranger (IDE). En 2021, l’Afrique ne représentait que 2,7 % de tous les investissements chinois dans le monde. Sur les 4 987 millions investis, les 2/3 étaient concentrés sur sept pays. La conclusion qu’il faut en tirer est que la Chine ne croit pas au développement de l’Afrique et qu’elle préfère y pratiquer une économie de comptoir. Pékin endette le continent pour s’insérer dans l’économie et piller les richesses, mais ne fait sûrement pas de l’Afrique une extension d’elle-même. C’est une vision trop occidentale pour l’empire du Milieu. Le deuxième indicateur est le ralentissement des prêts chinois depuis les années 2020. Disposant de moins de liquidités à causedes difficultés économiques internes, constatant que l’Afrique est mauvaise emprunteuse, et que les demandes de prêts sont souvent mal proportionnées aux projets, la Chine se fait plus difficile. La diplomatie du chéquier a des limites.

 

PILLER LES RESSOURCES

Le cas de la Zambie est particulièrement révélateur des ambitions chinoises en Afrique. Pékin convoite les fabuleuses ressources minières du continent pour soutenir sa course technologique. Nickel, lithium, cobalt, or, ou encore les métaux du groupe du platine, tous sont activement recherchés par les entreprises chinoises. Les premiers pas de ces entreprises en Afrique se limitaient à des prises de participations minoritaires. Désormais, elles n’hésitent plus à investir des centaines de millions de dollars pour prendre le contrôle des grands projets miniers, y compris les plus spéculatifs. Le gisement de lithium de Manono en RDC est l’une des plus vastes réserves de lithium inexploitées au monde. En octobre 2023, une filiale de la société chinoise ZijinMining a obtenu une licence d’exploitation octroyée du gouvernement. Au Tchad, la compagnie CNPCIC est chargée de l’exploitation du gisement de Rônier. Mais les dangers de la pollution ne les préoccupent pas.

De nombreuses infrastructures financées par la Chine sont liées au transport de minerai. Et ce n’est pas un hasard si l’Agence chinoise d’aide au développement dépend du ministère du Commerce.

 

CHECKPOINTS POUR LA BELT AND ROADS

 

L’Afrique est loin d’être la préoccupation principale de Pékin qui a toujours tourné le regard vers l’Europe. L’immense projet des nouvelles routes de la soie lancé par Xi Jinping en 2013 est entièrement orienté vers le Vieux Continent. La Chine doit ainsi s’assurer des points de passage et le continent africain présente toutes les caractéristiques pour servir de plateforme.

 

Sommet Chine Afrique à Johannesburg, août 2023.

 

La présence chinoise se renforce dans les ports africains, notamment en Afrique de l’Ouest (ports d’Abidjan, Tema, Lomé, Lagos), et en Afrique de l’Est (ports de Lamu, Mombasa, Dar es Salam, Mtwara). La nouvelle base militaire chinoise à Djibouti confère également à l’empire du Milieu une certaine capacité de projection armée sur le continent, et surtout de surveillance.

À plus grande échelle d’analyse, la place de l’Afrique dans la stratégie internationale chinoise se comprend dans la doctrine : «Les grandes puissances sont la clé, le voisinage est la priorité, les pays en développement sont le fondement, et l’arène multilatérale est l’arène clé.»

 

SOUTIEN INTERNATIONAL

La diplomatie du chéquier est très favorablement perçue par les pays africains et Pékin en tire un précieux soutien international. Sur la question taïwanaise si existentielle pour la République populaire, 19 États africains reconnaissaient l’île comme un État en 1970. Aujourd’hui, seul l’Eswatini, petite enclave en Afrique du Sud, n’a pas rompu ses relations avec Taïwan. Mais c’est surtout à l’ONU que le «bloc africain» est appelé à se mobiliser autour de la Chine. À l’Assemblée générale, il détient la plus importante réserve de voix (28%), contre les 27% d’Asie, les 17 % américaines et les 15 % de l’Europe occidentale. C’est donc dans le multilatéralisme que Pékin entend tirer les bénéfices de son ambitieuse politique en Afrique.

En 2020, tous les membres africains du Conseil des droits de l’homme, sauf un, ont approuvé la résolution chinoise :

«Promouvoir une coopération mutuellement bénéfique dans le domaine des droits humains.» Pour la première fois, des éléments de la «pensée de Xi Jinping» étaient inscrits dans un texte sur les droits humains de l’ONU. Cette pensée qui rassemble les idées politiques pour la Chine moderne, Pékin essaie de la promouvoir partout.

Enfin, la Chine utilise les pays africains pour repenser l’architecture du multilatéralisme et faire concurrence à l’Occident. Ce que l’on nomme maladroitement le «Sud global. Pékin voit ses «frères africains» comme un excellent relais pour son idée de «communauté de destin pour l’humanité», élément central de la diplomatie chinoise pour les pays du Sud. Mais en Chine continentale, le récit officiel dominant ne cache pas que les pays africains ne font que «rembourser la vertu».

In revue Conflit

Synthèse S. M.

Rédaction Crésus

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