Il fallut presque quatre ans et demi de travail à la Premier League pour constituer le dossier qui incriminait Manchester City, dans lequel le champion d’Angleterre se voyait accusé de 115 infractions aux réglementations de l’organisation. Selon les informations qui ont filtré depuis dans les médias, mais que ni la Premier League ni Manchester City n’ont confirmées, ces infractions allaient de la communication d’informations financières incorrectes à la dissimulation de paiements à certains joueurs, dont Yaya Touré, du non-respect des règles de fair-play financier applicables en Angleterre comme en Europe et du recrutement illicite de joueurs mineurs au refus de coopérer avec l’investigation de la Premier League.
Manchester City avait tout fait pour empêcher le grand public d’être au courant de la tenue de l’enquête, et le Daily Mail avait dû comparaître à la Haute Cour pour qu’on en soit enfin avisé. Le 6 février 2023, la PL publiait enfin le communiqué attendu, dans lequel étaient énumérés les multiples articles de ses réglementations que Manchester City était accusé d’avoir enfreints, sans qu’il fût expliqué comment.
Le 6 février 2023. Il y a plus de quatorze mois. Tandis qu’Everton, pour la seconde fois de la saison, vient d’être sanctionné d’une déduction (de deux points, en cette occasion) pour des actions qui, à première vue, paraissent bien moins graves que celles imputées au club de Sheikh Mansour. Or, moins de trois mois avaient suffi pour que l’affaire soit instruite et que la commission indépendante chargée du dossier livre son verdict. Nottingham Forest, mis en cause au même moment, avait attendu encore moins longtemps pour connaître son sort : deux mois et trois jours.
De la même façon, la sanction qui avait précédemment frappé Everton (déduction de dix points, réduite à six en appel) avait été infligée après six mois de délibération seulement. Pas quatorze. Quatorze qui, dans le cas de City, deviendront quinze, seize et probablement vingt, personne ne sait trop, même s’il paraît que la commission chargée de trancher sur la question devrait se réunir dans le courant de l’automne. Pourquoi une telle différence de traitement ?
Les fans d’Everton crient à l’injustice
Les fans d’Everton crient à l’injustice, et ne sont pas les seuls à le faire. Au bout du compte, ce dont on les accusait, et ce dont on les a jugés coupables, ce n’est que d’incompétence, cette incompétence qui a caractérisé le règne de Farhad Moshiri sur la moitié bleue de la Merseyside. Si Everton a dépensé sans compter, Everton n’a pas triché. Everton n’a pas falsifié ses comptes. Everton n’a pas soudoyé les parents de surdoués du football. Everton n’a pas dissimulé une partie du salaire de Carlo Ancelotti en se servant de sociétés affiliées au club, comme City est soupçonnée de l’avoir fait dans le cas de Roberto Mancini. Et Everton a accepté de coopérer pleinement avec les enquêteurs de la Premier league. Cela n’a pas empêché la punition d’être sévère, et rapide – alors que la situation financière d’Everton est si critique que le risque d’une liquidation est réel.
Comment éviter d’en conclure qu’il y a une loi pour les riches et les puissants, et une autre pour le reste du monde ? La Premier League peut se permettre de sanctionner Everton et Nottingham Forest, qui ne sont plus ce qu’ils ont été, mais c’est tout autre chose de frapper le club qui a donné un titre de champion d’Europe à l’Angleterre en mai dernier, et pourrait lui en donner un autre un an plus tard. Un club qui, cinq fois en six ans, a fini tout en haut du classement du championnat d’Angleterre, le tout en pratiquant un football d’une qualité pour certains insurpassée dans notre ère.
Punir Everton – et Forest -, c’est punir un coureur de classiques en fin de carrière. Punir City, c’est punir Lance Armstrong au plus haut de sa domination. Car si la commission de jugement acceptait le bien-fondé ne serait-ce que d’une partie des 115 chefs d’inculpation retenus par la PL, la sanction ne pourrait être que des plus lourdes, d’autant plus que City a semble-t-il tout fait pour rendre la tâche des enquêteurs aussi difficile que possible. Retrait de points, cela va de soi. Retrait de titres, pourquoi pas ? Mais en frappant City, la Premier League se frapperait elle-même. Elle ferait tomber son porte-étendard. Au vu de ses propres réglementations, que ses autres clubs entendent bien voir être appliquées dans toute leur rigueur, elle n’a pas le choix. Et il est trop tard pour faire machine arrière maintenant. La question est de savoir quand le nœud gordien sera enfin tranché.
Comme on l’a dit plus haut, on parle de l’automne prochain pour ce qui est d’une première décision de la commission de jugement, dont il est très probable que Manchester City, qui est représenté par – entre autres – l’ancien avocat de Boris Johnson, Lord Pannick, fera appel, si tant est que ladite commission établisse la culpabilité du club. Le nombre de chefs d’accusation est en lui-même un obstacle à une résolution plus prompte du litige. Les défenseurs de City en auront disséqué et disputé chaque virgule, initiant un à-toi, à-moi constant entre les deux parties, à la manière de deux Guilermo Vilas s’affrontant sur terre battue ou d’arrières de rugby bottant de 22 en 22 à en écœurer le public. Ce n’est pas maintenant que les Citizens vont se mettre à coopérer avec leurs accusateurs. Le moment de vérité viendra, plus tard, et certains souhaiteraient que ce “plus tard” revienne à un “jamais”. A la Premier League de convaincre un public qui doute qu’elle ne fait pas partie de ceux-là.